Perceval Le Gallois
laisser partir quand je le voudrais. Néanmoins, comme elle avait beaucoup d’affection pour moi, elle en conçut un grand chagrin. « Fille, me dit-elle cependant, puisque tu veux t’en aller, force m’est d’accéder à ton désir. Mais, je te prie, pour l’amour de moi, de me demander un don : tu l’auras aussitôt, quelque riche que soit la chose, et tu la garderas en souvenir de moi. » Je n’hésitai pas longtemps. « Douce Dame, lui dis-je, si tu veux me donner quelque chose que j’apprécie fort et qui sera pour moi un souvenir de ton amitié, je ne demande que ton échiquier merveilleux, avec les pièces qui l’accompagnent. »
« Morgane ne voulut pas refuser. Elle fit apporter l’échiquier. Alors, sans plus parler ni plus tarder, je la quittai. Et j’errai tant par les bois et par les vallées que j’arrivai un jour près de l’étang que tu as vu. L’endroit me fut agréable, et j’y fis bâtir ce manoir-ci où je conserve cet échiquier. Il n’est rien dont je sois si fière, car il est le bien le plus précieux que je possède. Et voilà pourquoi j’étais si furieuse quand tu l’as jeté dans l’étang. Cependant, je ne me plains pas : c’est grâce à l’échiquier merveilleux de l’Impératrice que tu es ici, près de moi, beau Perceval. »
La demoiselle brune garda le silence un long moment. Au fond de la salle, Perceval voyait, par une porte ouverte, une chambre contre la paroi de laquelle s’appuyait une jeune fille. La nuit approchait, et le Gallois sentait croître son désir de serrer contre lui la femme brune qui lui plaisait tant. Elle s’en apercevait bien et lui dit : « Beau Perceval, il est l’heure de manger mais, pendant que l’on prépare les tables, veux-tu voir ce qu’il y a dans cette chambre au fond ? – Bien volontiers », répondit-il, et elle l’y mena. Il trouva là, en plus de celle qu’il avait vue appuyée à la paroi, huit autres jeunes filles, toutes aussi belles les unes que les autres, vêtues d’or et de soie. En le voyant paraître, elles se levèrent et le saluèrent, et il leur répondit avec beaucoup d’amabilité. Puis il s’assit au milieu d’elles, en compagnie de la demoiselle brune, et tous devisèrent jusqu’au moment de passer à table. Ils dînèrent de bon appétit.
Cette nuit-là, la demoiselle à la chevelure noire vint rejoindre Perceval en son lit. Ils y demeurèrent, côte à côte et bouche à bouche, jusqu’aux premiers rayons du soleil levant. Aussitôt debout, Perceval ne découvrit, par tout le château, ni valet ni servante ni jeune fille. La demoiselle aux cheveux noirs se leva elle aussi, et il la pria de faire apprêter son cheval et ses armes. « Où veux-tu aller, de si bon matin ? lui demanda-t-elle. – Douce amie, répondit-il, lorsque le chevalier prisonnier du tombeau m’a parlé de certaine Colonne de Cuivre dressée au sommet d’une montagne, je n’y ai pas autrement prêté attention. Mais je sais maintenant que je dois m’y rendre, et que quelque chose m’attend là-bas, – Perceval ! Perceval ! n’es-tu pas las de ces aventures que tu rencontres sans cesse ? – Il est des choses que je dois mener à leur terme avant de découvrir le chemin qui mène à la cour du Roi Pêcheur.
— J’admire ton courage et ta détermination, beau Perceval, repartit-elle. Sache que tu pourras revenir ici chaque fois que tu le désireras et que je serai toujours, si tu le veux, ton amie. Quant à moi, je sais que si je te priais de rester près de moi, tu refuserais. Aussi vais-je t’aider, car je connais la route qui mène à la Colonne de Cuivre. Si tu y consens, je vais te l’indiquer. – Bien volontiers, douce amie », répondit Perceval.
Elle alla donner des ordres pour qu’on préparât les armes et le cheval de Perceval, ainsi que le sien propre, car elle entendait l’accompagner jusqu’à certain lieu où elle lui ferait traverser la rivière. Les valets vinrent donc armer le Gallois et, quand la demoiselle brune fut prête, ils descendirent tous deux dans la cour où piaffaient déjà leurs chevaux sellés. Ils sortirent du château à vive allure, suivirent une large voie et parvinrent à la rivière qui était tumultueuse et rapide. Là, Perceval vit une grande barque fermée, dont la clef se trouvait suspendue à la branche d’un grand chêne. Perceval descendit de cheval tandis que la jeune fille prenait la clef et détachait la barque.
« Entre, dit-elle, et
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