Perceval Le Gallois
moi ! – Et pourquoi devrais-je avoir pitié de toi et de moi ? s’étonna le Gallois. – Seigneur, répondit-elle, parce que tu veux aller sur ce mont, et que ce serait là commettre grande folie. Nul n’y va qui en revienne en vie. M’est avis même qu’il y demeure à jamais. J’avais un ami très cher et, ce matin, il prétendit s’y rendre afin de savoir ce qu’était la Colonne de Cuivre qui se dresse au sommet. Il faut te dire que mon ami était le plus brave et le plus audacieux de tous les chevaliers du royaume. Il n’a pas voulu que je l’accompagne et m’a laissée ici. Puis il est monté. Mais, comme le temps passait et que je m’inquiétais de plus en plus, j’ai fini par monter à mon tour jusque là-haut. Seigneur, c’est bien triste à dire, mais j’ai eu beau l’appeler, le supplier, parcourir toute la prairie, j’ai cherché en vain mon ami sans trouver trace de lui. Et voilà pourquoi je suis si triste !
— Jeune fille, lui répondit Perceval, je compatis à ta tristesse et à ta douleur. Mais as-tu vu quelque chose qui puisse expliquer pourquoi et comment ton ami a disparu ? – Non, répondit-elle. Tout ce que je sais, c’est qu’il a disparu. Aussi te suppliai-je de ne pas toi-même t’aventurer au sommet de ce mont : il t’arrivera grand malheur, comme à mon ami. Et moi, moi qui suis maintenant seule, égarée dans cette contrée que je ne connais pas, je ne sais plus que faire ! Seigneur, ne va pas sur ce mont et retourne d’où tu viens. Je partirai avec toi et, je te le jure par Dieu tout-puissant, je ferai ta volonté, si tel est ton bon plaisir. »
Après que Perceval lui eut assuré que jamais il ne renoncerait à gravir la pente et à se rendre au sommet du mont, la jeune fille s’en alla toute triste et désemparée. Il la regarda s’enfoncer dans la forêt puis, ayant remis le frein et la selle à son cheval, enfourcha celui-ci et, sans se presser, gravit la pente de la montagne. Quand il parvint en haut, le vent, à sa grande surprise, s’était mis à souffler avec une grande violence, mais il tint bon sur ses étriers et examina la colonne qui se dressait là.
Celle-ci, recouverte de cuivre poli, semblait haute d’une portée d’arbalète. Quinze croix l’entouraient, de belle dimension. Perceval en demeura saisi : des quinze croix, cinq étaient vermeilles, cinq autres plus blanches que neige tombée sur branches, et les cinq dernières couleur d’azur, toutes au demeurant faites d’une pierre si dure qu’on se demandait par quel miracle on avait bien pu les tailler. Perceval dépassa les croix et regarda encore la colonne. Un anneau s’y trouvait fixé, mais le Gallois n’aurait su dire s’il était d’or ou d’argent. Une bande d’argent très fin l’entourait, qui portait une inscription. Il s’approcha pour la déchiffrer et lut que nul chevalier, à moins de pouvoir s’égaler au meilleur chevalier du monde, ne devait attacher son cheval à l’anneau. Sans s’en émouvoir autrement, Perceval redescendit un peu, mit pied à terre, saisit les rênes de son cheval et, tirant celui-ci, les noua autour de l’anneau. Le cheval se coucha sur l’herbe, au pied de la colonne, et demeura paisible. Perceval prit alors son bouclier et l’appuya contre celle-ci, de même que sa longue lance au tranchant d’acier. Après quoi il demeura debout, tout à côté, afin de regarder ce qui se passerait et d’écouter ce qu’il pourrait entendre.
Survint une femme, montée sur une jument blanche au trot. Elle s’arrêta devant Perceval, mit pied à terre et, sans un mot, retira son manteau, se révélant seulement vêtue d’une robe de soie légère à travers laquelle se devinait chacun des contours de son corps. Perceval ne put s’empêcher d’admirer sa beauté et d’éprouver des frissons de désir. Il la salua, et elle lui rendit son salut, mais toujours sans prononcer un mot. Elle s’approcha seulement du cheval attaché à l’anneau et, de son manteau, lui flatta l’encolure et la tête en lui faisant de grandes démonstrations d’amitié. Le Gallois se sentait maintenant fort gêné, tant il lui semblait inconvenant que la femme lui préférât l’animal. Du coup, il prit la parole et dit : « Amie, laisse mon cheval tranquille. C’est à moi de m’en occuper, il me semble. »
Elle se retourna. « Chevalier, dit-elle, en caressant ton cheval, c’est un honneur que je lui prodigue et, par là même, à toi que
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