Perceval Le Gallois
je le destine. Tous ceux qui vivent sur cette terre devraient honorer ton destrier ainsi que ton corps, et s’incliner devant eux bien plus bas qu’on ne le fait dans une église devant un autel. Car m’est avis qu’on n’eût pu trouver en ce monde mortel chevalier plus digne que toi d’escalader cette montagne. Tu as attaché ton cheval à l’anneau fiché sur la colonne : tu peux te vanter d’avoir accompli en ce jour ce que jamais chevalier ne fit sans être châtié. – Belle, pardonne-moi, mais il y a par le monde d’excellents chevaliers, et je ne me tiens pas pour le meilleur. – Tu es courtois et modeste, dit-elle, mais n’en parlons plus. Allons sur l’autre versant jusqu’à mon pavillon. On t’y fera autant d’honneur que tu le mérites, et je t’assure que je m’y emploierai de mon mieux. Je crois que je n’aurai jamais connu de plus grand bonheur qu’aujourd’hui. »
Le Gallois ayant répondu qu’il acceptait de bon cœur, tous deux remontèrent sur leurs chevaux et s’en furent d’une traite jusqu’à la tente qui était riche, grande et belle. Sur l’autre versant de la montagne, en une lande, elle était dressée sous un sapin dont la verte ramure se déployait jusqu’à terre. À leur arrivée, des valets et des servantes vinrent au-devant d’eux et les aidèrent à mettre pied à terre. Perceval fut désarmé, et on le revêtit d’un riche manteau de soie fourré de petit-gris. Les tables furent dressées et, après s’être lavé les mains, la femme et lui s’installèrent pour se restaurer. Quand ils eurent fini, on desservit les tables et on leur prépara de bons lits, car la nuit approchait, et il fallait penser au repos. En attendant, Perceval et la femme s’en allèrent se promener sur la lande où ils trouvèrent bientôt un endroit propice pour s’asseoir, près d’une grosse touffe d’ajoncs épineux. Perceval demanda alors à son hôtesse qui elle était, d’où elle venait et pourquoi elle avait fait dresser sa tente au flanc de cette étrange montagne.
« Seigneur, répondit-elle, on me connaît sous le nom de Demoiselle de la Cime. C’est moi qui possède cette montagne, mais j’ai un château dans la vallée, non loin d’ici. De temps à autre, j’aime venir en ces lieux passer quelques jours auprès de cette Colonne de Cuivre qui m’évoque bien des souvenirs, ainsi que nombre d’espoirs déçus. – Mais cette Colonne de Cuivre ? dit Perceval. Je ne vois toujours pas ce qu’elle signifie. Ne veux-tu pas m’éclairer sur ce sujet ? – C’est une histoire qui n’est pas de ce temps, répondit-elle, mais je veux bien te la conter si tu le désires. – Certes, belle amie, dit le Gallois, je serai très heureux de t’écouter.
— Eh bien, voici, commença la Demoiselle de la Cime. Quand le roi Uther Pendragon régnait sur l’île de Bretagne, vivait une jeune fille qui était prophétesse. Or, un jour, elle vint trouver le roi qui se trouvait à Kaerloyw, accoudé à une fenêtre, regardant l’eau de la rivière et les herbes de la prairie. « Roi, lui dit-elle, je sais que tu as un fils ; tu ne le connais même pas, mais je puis te dire qu’on le prisera plus encore que tous les empereurs qui ont vécu jusqu’à présent. » Le roi Uther avait un devin qu’on appelait Merlin. Étonné par les paroles de la jeune fille, il envoya chercher son devin et pria la jeune fille de répéter ce qu’elle venait de dire. Elle s’exécuta sans rechigner. « Eh bien, dit Uther à Merlin, sais-tu quelque chose à ce sujet ? et peux-tu me dire si cette jeune fille ne ment pas ? – Elle ne ment pas, répondit Merlin. Oui, seigneur roi, tu as un fils, mais tu ne le connaîtras jamais durant ta vie, et ce en expiation de la faute que tu as commise lorsque tu l’as engendré. Souviens-toi que tu m’as supplié de t’aider parce que tu mourais d’amour pour une femme qui n’était pas la tienne. Souviens-toi que j’ai accepté de t’aider, mais à condition que le fils qui naîtrait de ta luxure me serait confié et que tu renoncerais à le connaître. Cela, je l’ai fait, non pour toi mais pour le royaume de Bretagne. Je ne reviens pas sur ce que j’ai dit, mais je puis quand même te confirmer que ce fils sera plus prisé que tous les empereurs qui ont vécu jusqu’à présent. Cette jeune fille a dit vrai, roi, jamais guerrier ne sera plus glorieux que ce fils que tu ne connais pas. »
« En entendant les paroles de
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