Perceval Le Gallois
prends ton cheval avec toi. La barque vous portera très bien tous deux, n’en doute pas. Quand tu seras de l’autre côté, prends le chemin qui part sur la droite : il te conduira tout droit où tu désires aller. Quant à la barque, ne te fais pas de souci pour elle : elle reviendra ici toute seule. – Douce amie, dit Perceval, je ne sais que faire pour te remercier ! – Reviens quand tu veux », dit-elle simplement.
Ils s’embrassèrent tendrement et se recommandèrent à Dieu mutuellement. Alors Perceval monta dans la barque, entraînant son cheval à sa suite. La barque navigua plus vite qu’un trait d’arbalète et, en un rien de temps, atteignit l’autre rive, où Perceval mit le pied sur une plage de sable fin. Après un dernier geste pour saluer son amie, il sauta en selle et s’éloigna dans le chemin qui s’en allait à droite, tandis que la barque retraversait la rivière et venait accoster devant la demoiselle brune. Celle-ci l’amarra soigneusement, remit la clef à sa place, remonta sur son cheval et s’en revint à son château. Là, elle s’assit sur le lit, en face du jeu d’échecs, et, tandis que le brachet se couchait à ses pieds, elle se mit à rêver.
Quant à Perceval, il chevauchait sur le chemin qui longeait la rivière. Comme il s’engageait dans un bois, il remarqua un enfant, perché si haut dans un arbre immense qu’on n’aurait sûrement pas pu l’atteindre d’un jet de lance. Et, sur sa branche, cet enfant vêtu de velours rouge tenait à la main une pomme. Il paraissait avoir tout au plus cinq ans. Après l’avoir regardé attentivement, Perceval dirigea son cheval vers lui, s’arrêta sous l’arbre, et le salua. L’enfant lui rendit simplement son salut. Et Perceval eut beau le prier de descendre, il répondit qu’il n’en ferait rien, dût-on le menacer.
« Je ne suis pas de ton pays, ajouta-t-il, et, bien que tu sois chevalier, je ne dépends nullement de toi. D’ailleurs, si je te dois quelque chose, je m’en tiens quitte. Beaucoup de paroles vaines me sont venues bourdonner aux oreilles sans que je m’en soucie. – Ton discours ne me peine en rien, dit Perceval. De toute façon, je sais que je me trouve dans le bon chemin. – Tu es bien sûr de toi ! répliqua l’enfant. Mais ce n’est pas moi qui peux savoir si tu as tort ou si tu as raison. Je suis encore d’un âge où l’on ne connaît pas les réponses à toutes les questions. – Tu me parais néanmoins fort déluré pour ton âge. Qui es-tu donc ? – Je n’ai nulle envie de te le dire, et je pense même que cela ne t’intéresserait pas. – Je n’insiste donc pas, dit Perceval, mais peux-tu me dire pourquoi tu t’es juché là-haut sur cette branche ? – Je pense que cela ne t’intéresserait pas, répéta l’enfant d’un ton têtu. – Alors, parlons d’autre chose : as-tu jamais entendu parler d’un Roi Pêcheur ? – Je connais beaucoup de pêcheurs, mais aucun n’est roi, ce me semble. En revanche, je puis te dire qu’au-delà de cette pente, on voit très bien la Colonne de Cuivre que tu cherches. »
Perceval fut abasourdi de l’entendre évoquer la Colonne de Cuivre. Il voulait encore interroger l’enfant quand celui-ci, se dressant debout sur la branche, passa sur une autre, grimpa encore et encore sans s’arrêter puis, arrivé tout au sommet de l’arbre, disparut brusquement. Perceval demeura un long moment à tourner tout autour de l’arbre pour tenter de voir l’enfant, mais il ne vit rien : celui-ci s’était semble-t-il évanoui dans le feuillage ou évaporé dans le ciel. Alors, le Gallois se décida à partir. Il gravit la pente dont lui avait parlé l’enfant et, arrivé au sommet, il aperçut, de l’autre côté d’une vallée, une montagne où se dressait une colonne qui étincelait dans la lumière du soleil.
Tout joyeux, il força l’allure de son cheval et arriva bientôt au pied du mont. Cependant, comme sa monture était manifestement épuisée par sa longue galopade, il sauta à terre et la laissa paître, après lui avoir ôté le frein et la selle. Et il se disposait à prendre lui-même un instant de repos sur l’herbe verte quand il vit arriver une jeune fille descendant du mont sur un palefroi qui trottait avec aisance. Il la regarda s’approcher, se demandant ce qu’elle faisait là, et ne manqua pas de la saluer. « Seigneur, répondit-elle, par le Dieu qui jamais ne mentit, prends pitié de toi-même et de
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