Perceval Le Gallois
Gallois se souciait fort peu de l’humeur du roi Arthur. Après avoir remercié le charbonnier, il s’engagea dans le sentier que celui-ci lui avait indiqué, et, bientôt, il aperçut, dominant la mer, une forteresse dont les toitures étincelaient au soleil.
Or, avant qu’il ne l’eût atteinte, un autre cavalier y avait pénétré. Celui-ci fixa un grand et massif anneau d’or contre la porte de l’entrée pour attacher son cheval, puis il se rendit dans la salle où se trouvaient Arthur et tous ses gens, ainsi que la reine Guenièvre et ses suivantes. Un valet était en train de servir à boire à Guenièvre dans une magnifique coupe d’or ciselée. Le nouveau venu se précipita vers le valet, lui arracha la coupe des mains et en jeta le contenu à la face et sur la poitrine de la reine. Après quoi, il donna à celle-ci un grand soufflet en s’écriant : « S’il est ici quelqu’un d’assez intrépide pour me disputer cette coupe et venger l’outrage que je viens d’infliger à Guenièvre, qu’il me suive sur le pré, devant la forteresse. Je l’y attendrai, prêt à l’affronter. » Sur ce, l’homme sortit tranquillement de la salle et se dirigea vers l’endroit où piaffait son cheval.
Sur ces entrefaites arriva le fils de la Veuve Dame. Il vit un individu qui tenait dans sa main droite une coupe d’or finement ciselée et, dans la gauche, sa lance et son bouclier. Il remarqua aussi que l’inconnu portait une armure vermeille qui lui allait à ravir. « Sur ma foi ! se dit-il, voici des armes qui me conviendraient. Je vais les demander au roi. S’il me les donne, je m’en contenterai et je n’en chercherai pas d’autres ! »
Il se disposait à entrer dans la salle quand le chevalier à la coupe lui barra le passage. « Où vas-tu de ce pas ? lui demanda-t-il. – Je ne te le cacherai pas : je vais à la cour prier le roi Arthur de me donner tes armes. » Le chevalier à la coupe d’or ne put se retenir de rire, vu l’accoutrement du jeune Gallois. « Tu as bien raison, lui répondit-il. Va donc et reviens vite. Au fait, tu en profiteras pour dire au roi, un mauvais roi que Dieu maudisse, que, s’il ne veut tenir sa terre de moi, il me la rende ou envoie quelqu’un la défendre. Car, je le déclare solennellement, tout ce que le roi Arthur s’imagine posséder m’appartient.
— Je ne comprends rien à tes paroles, répondit le jeune homme. Tout ce que je sais, c’est que je veux tes armes et que je vais de ce pas les demander au roi Arthur. » Alors, sans plus attendre, il pénétra dans la forteresse. Il eut tôt fait d’y repérer le logis le plus vaste et, le supposant devoir être celui du roi, en franchit le seuil sans prendre la peine de descendre de cheval.
Tous les hommes qu’il trouva là demeuraient immobiles, la tête baissée, de peur d’être désignés pour aller venger l’outrage fait à Guenièvre. Il leur semblait en effet que jamais personne n’aurait accompli forfait si insolent sans la garantie de pouvoirs magiques susceptibles de le protéger. Kaï se tenait debout, au milieu de la salle, plongé dans ses pensées. « Hé ! toi, l’Homme Long (12) ! l’apostropha le fils de la Veuve Dame, où est Arthur ? » Kaï dévisagea d’un air abasourdi celui qui l’interpellait de la sorte : en vérité le garçon, vêtu comme un rustre et monté sur un bidet gris pommelé passablement mal attifé, détonnait fort parmi les courtisans. « Que veux-tu donc à Arthur ? demanda Kaï. – Ma mère m’a recommandé de venir vers lui pour me faire armer chevalier. » Kaï se mit à rire : « Par ma foi, dit-il, tu es trop jeune, trop mal monté, et trop mal équipé ! »
Tous les gens de la cour jetèrent alors les yeux de son côté, et l’accoutrement de l’intrus leur parut si bizarre qu’ils éclatèrent de rire et, en signe de dérision, se mirent à lui lancer des baguettes. Mais, à ce moment, entra un nain qui, un an auparavant, était venu avec une naine demander refuge au roi Arthur. Le roi lui avait accordé sa requête mais, depuis, de toute l’année, ni le nain ni la naine n’avaient prononcé la moindre parole. Or, celui-ci, en apercevant le fils de la Veuve Dame, s’écria : « Dieu te bénisse, Perceval, beau fils d’Evrawc, chef des guerriers, fleur des chevaliers ! – En vérité, dit Kaï, il faut être malavisé et complètement fou pour demeurer une année entière muet à la cour d’Arthur,
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