Perceval Le Gallois
malgré la liberté de parler à qui bon vous semble, et pour oser ainsi, à la face du roi et de tous ses gens, déclarer qu’un individu de cet acabit est un chef de guerriers, la fleur des chevaliers ! »
Sur ce, Kaï donna au nain un tel soufflet qu’il l’étendit sur le sol, évanoui. Au même moment, la naine entra dans la salle. « Ha ! ha ! s’écria-t-elle en apercevant le jeune homme, Dieu te bénisse, Perceval, beau fils d’Evrawc, fleur des guerriers et lumière des chevaliers ! – En vérité, femme, dit Kaï, c’est être bien malavisée que de rester une année entière sans souffler mot à la cour d’Arthur et puis d’appeler ainsi un tel rustre ! » Et il donna à la naine un coup de pied si violent qu’elle tomba à terre, évanouie.
« Toi, l’homme long, reprit celui que le nain et la naine avaient appelé Perceval, indique-moi où est Arthur. – Laisse-nous en paix, répondit Kaï. Va donc à la poursuite du chevalier qui est sorti d’ici pour aller sur le pré, enlève-lui la coupe d’or, renverse-le, prends son cheval et ses armes. Cela fait, peut-être obtiendras-tu d’être armé chevalier. – Et ainsi ferai je, rétorqua Perceval, mais toi, l’Homme Long, sur ma foi, tu paieras très cher tes insultes au nain et à la naine. » Et, sans plus attendre, il tourna bride, sortit de la salle et se dirigea vers le pré.
Le chevalier attendait patiemment son heure, et, pour être plus à l’aise, il avait posé la coupe d’or sur un perron de pierre bise et caracolait tout autour comme pour montrer qu’il ne craignait personne. Quand le jeune homme se fut approché, le chevalier lui cria : « Valet ! as-tu vu quelqu’un de la cour d’Arthur venir par ici ? – Je n’ai vu personne, répondit Perceval. Mais un Homme Long qui se trouvait là-bas m’a commandé de te renverser, de te ravir la coupe, ainsi que ton cheval et tes armes. – Tais-toi, valet, et retourne d’où tu viens. Tu commanderas à Arthur, de ma part, de venir, lui ou un autre, m’affronter. S’il n’obtempère pas immédiatement, je n’attendrai pas davantage et j’irai partout clamant que le roi Arthur est un lâche et que les chevaliers de la Table Ronde ne sont capables que de pérorer parmi les dames de la cour. – Tu n’as pas compris ce que je disais, reprit Perceval. Je t’ordonne de me donner la coupe, ton cheval et tes armes. Si tu ne me les accordes de ton plein gré, je te les prendrai par la force. – Je ne t’obéirai certes pas. Quant à me battre avec un valet, il n’en est pas question. Mon honneur ne me le permet pas. – Je ne suis pas un valet, seigneur chevalier. On m’appelle Perceval, fils d’Evrawc, et l’on me prétend même chef des guerriers. » Le chevalier se mit franchement à rire. « Par ma foi ! s’écria-t-il, tu as besoin d’une bonne leçon, ce me semble. Eh bien, tu l’auras voulu. » Là-dessus, le chevalier chargea Perceval avec violence et lui assena, du pied de sa lance, un grand coup douloureux entre les épaules et le cou.
Perceval chancela et faillit tomber de cheval. « Homme, dit-il, ce n’est pas de cette façon que jouaient avec moi les valets de ma mère. Je vais jouer avec toi, maintenant, et à ma façon. » À ces mots, il lui darda un javelot à la pointe aiguë qui lui creva l’œil, ressortit par la nuque et le renversa raide mort. Puis, descendant de sa monture, il prit la lance et la mit de côté, et s’empara du bouclier. Mais lorsqu’il voulut retirer le heaume de son adversaire, il n’y put parvenir. De même lui fut-il impossible d’arracher l’épée du fourreau, quelque effort désespéré qu’il fît, et l’insuccès l’ennuyait fort.
Cependant, dans la salle où se tenaient Arthur et Guenièvre, les conversations allaient bon train. Prenant la parole d’une voix puissante, Yvain, fils du roi Uryen, s’en prit violemment à Kaï : « En vérité, dit-il, tu as été mal inspiré d’envoyer ce jeune fou contre le chevalier. Ce rustre n’a visiblement aucune expérience et, de plus, il me paraît étonnamment naïf. Ainsi, de deux choses l’une : ou bien il a été tué, ou bien il a été culbuté. Et, de toute manière, le chevalier aura beau jeu de clamer partout qu’il a vaincu un compagnon d’Arthur, et de cela résultera une honte éternelle pour Arthur et pour nous tous. Au surplus, si le jeune homme a été tué, outre le déshonneur, retombera sur nous la faute d’avoir
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