Perceval Le Gallois
Lande s’assit à une table et se mit à manger les pâtés qui restaient.
Pendant ce temps, le fils de la Veuve Dame se dirigeait vers la cour d’Arthur. Il galopait à travers landes et vallées mais se désespérait de n’y croiser âme qui vive. On eût dit un désert abandonné aux bêtes sauvages. Et le soir commençait à tomber. Accablé de fatigue, le jeune homme se demandait s’il n’allait pas devoir passer la nuit sous un arbre, dans la froidure de la nuit, quand il aperçut une maison de bonne taille. Un ladre, comme il en existe encore dans notre monde, y logeait, qui exerçait le métier de pêcheur et avait la réputation d’être dénué de toute pitié, de toute bonté. La faim le poussant, le fils de la Veuve Dame dirigea ses pas vers cette demeure. Le pêcheur, qui était assis par terre devant la porte, se leva pour entendre la requête du jeune Gallois mais, au seul mot d’hospitalité, il répondit sèchement : « Tu pourrais me supplier trente années durant, je ne te donnerais pas la moitié d’un pain d’orge. Celui qui prétend, sans bourse délier, me voir généreux perd son temps. Je ne me soucie de personne que de moi-même d’abord, puis de mes enfants. Tu n’entreras pas ici et n’obtiendras nulle nourriture. En revanche, si tu avais des écus ou des gages, je t’accueillerais volontiers. »
Ce discours surprit fort le jeune homme. « Comment ? pensa-t-il. Cet homme me refuse le gîte et le couvert parce que je suis un voyageur errant ! Ma mère ne m’a pas dit que de telles gens existaient. Il faut croire que le monde est mal fait. » Cependant, comme la faim, la soif et le sommeil le tenaillaient, il retira de son doigt la bague qu’il avait ravie à l’amie de l’Orgueilleux de la Lande et la tendit au pêcheur. Celui-ci la reçut avec un large sourire. « Jeune homme, dit-il, si tu veux rester chez moi, tous ceux qui vivent sous ce toit te feront honneur. – Je ne te demande pas grand-chose : seulement de me nourrir et de m’héberger ce soir, et de m’indiquer ensuite le chemin qui conduit à la cour du roi Arthur. – Ainsi ferai-je, dit le vilain, et sois sûr que tu ne te plaindras pas de mon accueil. »
Le fils de la Veuve Dame passa donc la nuit entière dans la demeure du pêcheur. Le lendemain matin, il se leva très tôt. Son hôte était déjà prêt, et tous deux montèrent à cheval et, après avoir parcouru une grande plaine traversée par plusieurs rivières, parvinrent à une colline qui dominait tout le pays. Le pêcheur s’arrêta. « Te voici presque arrivé, dit-il. Si tu veux te rendre à la cour que le roi Arthur tient dans sa forteresse de Carduel, il te suffit de suivre ce chemin qui s’ouvre sous nos pas. – Pourquoi ne m’accompagnes-tu pas ? demanda le jeune homme. – Dieu m’en garde ! s’écria le pêcheur. Jamais roturier de mon espèce ne saurait entrer dans la maison du roi. D’ailleurs, je me demande ce qu’un valet gallois comme toi peut avoir de commun avec cette engeance de chevaliers arrogants qui croient que tout leur est dû. Néanmoins, puisque tu tiens à t’y rendre et à t’exposer à la honte, ce n’est pas moi qui te retiendrai. Je te souhaite bonne chance, et que Dieu te protège. » Là-dessus, il fit faire demi-tour à son cheval et, piquant des deux, s’en retourna vers sa maison.
Le fils de la Veuve Dame emprunta le chemin que lui avait indiqué l’autre et comme, au petit trot, son cheval gris pommelé le menait à travers landes et bosquets, il croisa un charbonnier qui conduisait un âne. « Vilain, dit-il, enseigne-moi la voie la plus courte pour aller à Carduel chez le roi Arthur. On dit qu’il y fait des chevaliers. – C’est la vérité, répondit l’homme. Tu n’as qu’à suivre le sentier par où j’arrive, et tu aboutiras à la forteresse de Carduel, non loin de la mer. Mais je te préviens, bel ami, tu y trouveras le roi Arthur triste et joyeux. – Pourquoi le roi est-il à la fois triste et joyeux ? J’aimerais bien que tu me le dises. – Ce n’est pas difficile : le roi Arthur vient, avec toute son armée, de combattre le roi des Îles qui s’était révolté contre lui. Celui-ci a été défait, et voilà pourquoi le roi Arthur est si joyeux. Mais il est également fâché que ses compagnons, l’ayant quitté pour aller séjourner à leur aise dans leurs domaines, le laissent sans nouvelles, et voilà ce qui explique sa tristesse. »
Mais le jeune
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