Perceval Le Gallois
gens qui comptent sur toi pour les défendre de quiconque s’aviserait à nouveau de les menacer ? » Le jeune Gallois se trouva d’autant plus embarrassé que tous les habitants de la forteresse joignaient leurs plaintes à celles de leur maîtresse. Mais ils le suppliaient en vain : il s’était mis en tête de partir sans délai, et rien ne pourrait l’en faire démordre. « Je veux savoir ce qu’est devenue ma mère, dit-il. Si elle est vivante, je reviendrai avec elle, et je tiendrai cette terre comme tu le souhaites. Et si elle est morte, je reviendrai de même : je ferai dire des messes pour elle, et je serai pour toi le plus fidèle des compagnons. »
Sur ce, il donna un doux et long baiser à Blodeuwen puis, recommandant à Dieu tous les gens de la forteresse, il sauta sur son cheval, franchit la porte et se mit à galoper en direction de la Gaste Forêt où sa mère devait languir dans la solitude et le désarroi (18) .
3
L’Occasion perdue
Tout le long du jour, Perceval chevaucha, suivant des chemins qui traversaient des forêts désertes et des landes interminables, mais il n’y croisa personne qui pût le renseigner sur la direction qu’il fallait prendre pour rejoindre la Gaste Forêt. Il ne cessait d’adresser à Dieu de ferventes prières et de le supplier de le mener près de sa mère, tant l’angoissait de plus en plus l’idée qu’elle eût pu mourir tandis qu’il franchissait le pont. Au bas d’une colline, il atteignit une rivière dont les eaux profondes et rapides le dissuadèrent de s’y engager. « Par ma foi ! s’écria-t-il, si je pouvais la franchir, je suis sûr qu’au-delà je trouverais ma mère, si du moins elle vit encore ! » Mais il eut beau longer la berge en quête d’un gué, il n’en trouva point. Et il commençait à désespérer quand il aperçut, en face de lui, les tourelles d’une forteresse qui, depuis un monticule, surplombait les flots.
Aussi se dirigea-t-il de ce côté. La porte en était ouverte, mais personne ne la gardait. Il entra et, une fois à l’intérieur, se dirigea droit vers la maison qui lui semblait la plus haute et la plus vaste et, sans plus de façons, y pénétra. Il découvrit une grande salle qu’éclairaient des torches résineuses qui dégageaient d’épaisses volutes noires. Un homme aux cheveux blancs s’y trouvait, assis sur les coussins d’un fauteuil placé près d’un foyer où brûlaient d’énormes bûches. Des valets surgirent de l’ombre et abordèrent Perceval en lui adressant d’aimables paroles de bienvenue. Le jeune Gallois descendit de son cheval qu’un valet prit par la bride pour le conduire à l’écurie. Deux autres valets s’empressèrent de lui ôter son armure, et le vieillard le pria de venir partager son siège. Après s’être incliné devant son hôte, Perceval prit la place que celui-ci lui indiquait, et tous deux se mirent à causer de choses et d’autres sans qu’aucun priât l’autre de se nommer.
La journée s’avançait, et, le moment venu, on dressa les tables, puis le vieillard invita Perceval à partager le repas qu’on avait préparé. Perceval s’assit auprès de son hôte, et l’on commença à servir les mets, tout en versant les boissons dans des coupes d’or. Une fois qu’ils furent rassasiés et désaltérés, l’homme aux cheveux blancs demanda à Perceval s’il savait bien manier l’épée. « Je me crois, répondit le jeune Gallois, capable de me défendre quand on m’attaque. Mais je sais aussi que si l’on m’enseignait tout ce qui est nécessaire, je deviendrais encore plus habile. – Assurément, dit le vieillard, mais j’aimerais que tu me montres ce que tu sais faire. Sache d’abord, mon garçon, que celui qui peut jouer habilement du bâton prouve qu’il peut encore mieux se battre à l’épée. »
Le vieillard avait deux fils, l’un blond, l’autre brun. « Levez-vous, jeunes gens, dit-il, afin de jouer du bâton et du bouclier. » Une fois debout, ils saisirent chacun un bouclier et un bâton qui se trouvaient fixés au mur de la salle, et, sans un mot, jouèrent du bâton l’un contre l’autre. Mais ils les maniaient si habilement qu’aucun ne fut atteint. « Dis-moi, mon âme, demanda le vieillard à Perceval, à ton avis, quel est celui qui joue le mieux ? – Je pense, répondit le Gallois, que le blond pourrait tirer du sang à l’autre, à condition du moins qu’il le voulût vraiment. – Voilà qui
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