Perceval Le Gallois
de sang, il alla s’incliner devant Arthur et Guenièvre. « Dieu sauve et bénisse le meilleur roi qui soit au monde ! dit-il, car on n’en connaît assurément pas de plus noble ni de plus généreux. Ainsi en témoignent tous ceux qui ont entendu narrer ses grandes prouesses et celles des chevaliers de la Table Ronde. Or, écoute-moi, seigneur roi, j’ai un message à te transmettre : il m’en coûte beaucoup de le faire, mais j’ai donné ma parole et je ne saurais m’en dédire. On me nomme Clamadeu des Îles, et je me croyais jusqu’à ces derniers jours le meilleur guerrier de toute l’île de Bretagne. Jamais aucun adversaire ne m’avait renversé. Mais la vérité m’oblige à avouer ceci : je suis envoyé par un jeune chevalier aux armes vermeilles dont j’ignore le nom, mais dont la vaillance est telle qu’il a réussi à me vaincre. Il veut que je me rende à toi comme ton prisonnier, et je n’y puis rien. Fais donc de moi ce que tu veux.
— Ami, lui répondit Arthur, que Dieu te donne aide et assistance ! Mais, dis-moi, ce jeune chevalier est-il dispos, de bonne humeur et en bonne santé ? – Oui, seigneur roi, sois-en certain. Il est le plus vaillant de tous les chevaliers que j’aie rencontrés de ma vie. Il m’a prié également de faire savoir au nain et à la naine naguère injuriés par l’Homme Long qu’il ne reviendra pas à la cour qu’il ne les ait vengés. » En entendant ces paroles, la naine, qui se trouvait dans l’assistance, ne se tint plus de joie : « Béni soit Perceval, chef des guerriers et fleur de la chevalerie ! s’écria-t-elle. Ah ! seigneur roi, je t’assure que Kaï paiera chèrement l’outrage qu’il nous a infligé. Ce n’est pas une plaisanterie, crois-le bien, il ne s’en tirera que le bras rompu et la clavicule démise ! »
Kaï faisait grise mine. Certes, il bouillait de bondir sur la naine et de lui fracasser la tête, mais il savait trop qu’en donnant libre cours à sa colère il serait honni de tous. Aussi baissa-t-il la tête sans prononcer le moindre mot. Quant au roi, il frappa la table de son poing en s’exclamant : « Ah ! vois où nous mène ta méchanceté, Kaï. Non seulement tu paieras très cher l’injure faite au nain et à la naine, mais tu nous as privés du jeune chevalier qui accomplit tant de prouesses. C’est toi qui, par tes folles paroles et ton attitude méprisante, l’as chassé d’ici ! Je ne m’en consolerai jamais. »
Sur un ordre du roi, Girflet et Yvain se levèrent et désarmèrent Clamadeu des Îles, tandis qu’un valet lui apportait un manteau de soie brochée d’or. « Puisqu’il en est ainsi, dit Arthur à Clamadeu, et puisque tu t’es acquitté de ton serment, sois des nôtres et prends place parmi nos compagnons. » Et c’est ainsi que Clamadeu des Îles, abandonnant tout orgueil et toute prétention à être le meilleur guerrier de l’île de Bretagne, fut admis à la cour d’Arthur.
Pendant ce temps, Perceval était rentré dans la forteresse de Caerbeli, et il y reçut l’accueil le plus magnifique qui fût. Blodeuwen alla à sa rencontre et l’embrassa avec une fougue qu’elle ne cherchait pas à dissimuler. « Perceval ! s’écria-t-elle, sois béni entre tous les hommes ! Tu nous as libérés de l’odieuse oppression de Clamadeu et de son cruel sénéchal, et moi, tu m’as rendue libre de toute contrainte ! Aussi est-ce en toute liberté que je te donne maîtrise et possession de mes domaines et de ma personne. Sois mon époux, Perceval, et demeure avec moi pour gouverner cette terre de mes ancêtres dans la joie et le bonheur de tous ceux qui sont ici ! – Je le voudrais bien, répondit Perceval, mais auparavant, il faut que j’aille chez ma mère. Je ne sais si elle est morte ou vivante car, lorsque je l’ai quittée, je l’ai vue tomber devant la porte, à l’entrée du pont. Je vais partir, car je ne puis vivre plus longtemps sans nouvelles d’elle. De plus, j’ai promis au nain et à la naine qui se trouvent à la cour d’Arthur de venger l’affront qu’ils ont subi de la part de l’Homme Long qui prononce des paroles méprisantes à l’égard de chacun. Je perdrais mon honneur si je n’accomplissais ma promesse. »
Blodeuwen se mit à pleurer d’abondance. « Hélas ! gémit-elle, il me faut te perdre aussitôt après t’avoir pris dans mes bras ! Tu es bien cruel, Perceval ! Que deviendrai-je sans toi, et que deviendront mes
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