Perceval Le Gallois
manoir. Écoute-moi bien, frère : tu vas monter par cette brèche ouverte dans la roche et, une fois au sommet, tu verras devant toi, en un vallon, près d’un étang, la forteresse où j’habite avec mes gens, juste au-dessus de la forêt. À ceux qui seront là et qui pourraient te demander ce que tu cherches, tu diras que c’est le Pêcheur qui t’envoie et que tu es son hôte. »
Sans plus attendre, le Gallois poussa sa monture jusqu’à la cime et, de là, il examina l’horizon. Mais il n’y discerna que le ciel et la terre. « Que suis-je venu chercher ici ? s’écria-t-il. La niaiserie et la sottise, sans aucun doute. Et je n’ai même plus d’épée pour me défendre si l’on m’attaque dans ce désert ! Maudit soit le vieillard qui m’a obligé à frapper cet anneau, fixé au sol de la salle ! Il est trop certain qu’il voulait mon malheur ! Me voici désarmé et sans ressources dans un pays que je ne connais pas et je ne puis même pas traverser la rivière pour regagner la terre de ma mère ! Quant au pêcheur qui a prétendu vouloir m’héberger ce soir et qui m’a fourvoyé sur ce chemin, que la male mort le saisisse ! Vraiment, il est bien déloyal, celui qui trompe ainsi un pauvre chevalier errant ! »
Il avait à peine prononcé ces paroles furieuses qu’il aperçut, au creux du vallon qui s’ouvrait devant lui, le faîte d’une tour qu’embrasait le soleil couchant. Carrée, construite en pierre grise et surmontée d’une toiture d’ardoise fine, flanquée de deux tourelles, elle rendit espoir au Gallois qui, piquant des deux, ne tarda guère à parvenir au bas de la forteresse. De sorte que, sans plus penser aux vilaines paroles qu’il avait prononcées, il louait maintenant le pêcheur de lui avoir indiqué le bon chemin.
Il trouva le pont-levis relevé, et l’aspect du château qui, fortifié à merveille, se dressait là d’un bloc, droit vers le ciel, le ravit. Certes, en voilà un qui n’a à craindre nul assaut, à moins que ses assaillants ne fussent munis d’ailes ou portés par les vents ! D’innombrables tours protégeaient tant de demeures grandes et belles que Perceval, faute d’avoir jamais rien vu de pareil, se perdait en admiration, quand un sergent l’aperçut et lui demanda ce qu’il voulait et d’où il venait. « C’est le Pêcheur qui m’envoie. Espérant découvrir un gîte pour la nuit, je me suis adressé à lui alors qu’il était dans sa barque sur la rivière. Il vous prie de baisser le pont et de me faire bon accueil en cette forteresse. – Seigneur, répondit le sergent, sois le bienvenu, puisque tel est l’ordre du Pêcheur. Nous t’accueillerons pour l’amour de lui avec autant de soin que de respect. »
Ayant ainsi parlé, il fit abaisser le pont-levis, et le jeune Gallois pénétra dans une vaste et large cour qui ne portait nulle trace de joutes chevaleresques, car le gazon en était partout vert, égal et dru. Jamais ne l’avait foulé, tel celui des forteresses royales, une troupe de cavaliers, bannières en tête. Cependant, quoique depuis fort longtemps on n’y eût plus pratiqué ni tournois ni divertissements, que tous, là-dedans, parussent mélancoliques et même brisés de douleur, les gens se portèrent à la rencontre de Perceval afin de le saluer et de lui souhaiter la bienvenue au nom de leur maître. Une troupe de valets s’élança pour saisir la bride de son cheval, et chacun désirait le servir le premier. Après qu’on lui eut tenu l’étrier pour lui permettre de se démonter plus facilement, les chevaliers le prièrent avec courtoisie d’entrer dans la grande maison, et ils le conduisirent à une chambre où il pût prendre quelque repos. En un tournemain, on le libéra de son armure et, au spectacle de l’adolescent imberbe dans toute la grâce de sa jeunesse, les assistants se dirent que la fortune les favorisait en leur envoyant un jeune homme si manifestement destiné à accomplir de grands exploits pour leur bien à tous.
Perceval demanda de l’eau et nettoya soigneusement les taches de rouille dont la sueur avait maculé son visage et, une fois qu’il se fut ainsi rafraîchi, jeunes et vieux trouvèrent qu’il resplendissait comme le soleil au lever du jour. On lui apporta un riche manteau taillé dans une soie précieuse qu’il jeta sur ses épaules sans en attacher les lacets. Il suscitait l’admiration générale, et l’un des chevaliers lui dit : « Ce manteau-là,
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