Perceval Le Gallois
dénote de ta part un bon sens de l’observation. Eh bien, va toi-même, mon âme, prends le bâton et le bouclier du brun, et essaie de tirer du sang au blond, si tu le peux. »
Perceval se leva, prit le bâton et le bouclier du jeune homme brun et s’en fut jouer contre le blond. Brandissant le bras, il lui assena un tel coup sur le visage qu’un des sourcils lui tomba sur l’œil et que le sang se mit à couler sur ses joues. « Fort bien, mon âme, dit le vieillard. Je sais désormais que tu seras le plus habile au maniement de l’épée dans toute l’île de Bretagne. Cependant, je voudrais que tu m’en fournisses la preuve. – Qu’il en soit selon ton désir », dit Perceval.
Il y avait, fixé au sol de la salle, un grand crampon de fer que la main d’un homme de guerre aurait à peine pu étreindre tant il était large et robuste. « Prends ton épée, dit le vieillard, et frappes-en l’anneau de fer. » Perceval se fit apporter son épée et, quand il l’eut en main, en frappa l’anneau qui se rompit en deux morceaux, de même que l’épée. « Mets les deux morceaux bout à bout et réunis-les », dit l’homme aux cheveux blancs. Perceval rassembla les deux morceaux de l’anneau, puis ceux de l’épée, et les uns et les autres se ressoudèrent comme par enchantement.
« Recommence, mon âme », reprit le vieillard. Perceval frappa l’anneau qui, comme la première fois, se brisa, de même que l’épée. À nouveau, il joignit les morceaux, et ceux-ci se ressoudèrent encore, sans qu’il pût comprendre comment. Le vieillard lui commanda de frapper une troisième fois, mais Perceval le fit avec tant de force que ni les morceaux de l’anneau, ni ceux de l’épée ne purent plus se ressouder. Perceval en fut fort ennuyé, car son épée était devenue inutilisable. « Ne sois pas chagriné, lui dit le vieillard. Viens t’asseoir près de moi et reçois ma bénédiction. Je sais maintenant que tu es le meilleur joueur d’épée de tout le royaume de Bretagne. Tu n’as encore cependant que les deux tiers de ta force, et il te faut acquérir le troisième. Quand tu la posséderas tout entière, personne ne pourra plus lutter contre toi. Quant à ton épée, ne la regrette pas, elle était indigne de toi. Tu t’en iras demain sans épée, mais ne t’inquiète pas pour si peu, bientôt quelqu’un t’en donnera une qui accomplira des prouesses, pour peu que tu ne l’utilises qu’à bon escient. »
Ils devisèrent encore un moment puis, la nuit étant venue, allèrent se coucher. Perceval dormit profondément dans le bon lit qu’on lui avait préparé. Dès que le soleil apparut à l’horizon, le jeune homme se leva, se fit armer et, avec la permission de son hôte, il sortit de la forteresse, bien décidé à franchir la rivière et à retrouver le manoir de sa mère.
À force de longer la rive, il s’approcha d’un énorme rocher que l’eau venait baigner et qui barrait le passage dans la vallée. À ce moment, il aperçut une barque qui descendait le courant et dans laquelle étaient assis deux hommes. Il resta immobile et les attendit, souhaitant qu’ils vinssent jusqu’à lui. Mais ils s’arrêtèrent soudain au milieu de la rivière et y ancrèrent solidement leur barque. Celui qui se tenait à la proue pêchait à la ligne et amorçait son hameçon d’un petit poisson pas plus gros qu’un menu vairon. Fort embarrassé et ne sachant comment passer le cours d’eau, le jeune Gallois se décida à les saluer. « Seigneurs, leur dit-il, que Dieu vous donne joie et bonheur ! Je vous prie de m’indiquer s’il existe un gué ou un pont en cette rivière. » Au son de sa voix, le pêcheur se retourna et lui répondit : « Non, frère. Pour autant que je sache, il n’existe, à vingt lieues en amont ou en aval, ni gué ni pont. De plus, les eaux de cette rivière sont si violentes qu’elles ne permettraient pas à un bac de les traverser. Seule, une petite barque peut résister au courant. Il est donc impossible de traverser cette rivière avec un cheval.
— Me voici bien ennuyé, dit Perceval, car je voudrais passer de l’autre côté. Et comme le soir tombe, seigneur, je te prie de m’indiquer où je pourrais trouver un logis pour la nuit. – Tu aurais en effet bien besoin d’un logis et d’autre chose, répondit le pêcheur. Eh bien ! c’est moi qui t’hébergerai ce soir, sois-en persuadé, et je me ferai une joie de t’accueillir en mon
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