Perceval Le Gallois
de son cheval mais tous deux, se relevant d’un bond, tirèrent leur épée et s’attaquèrent en hommes bien décidés à ne pas reculer. Le combat dura longtemps, car ils étaient, semblait-il, tous deux d’égale force. Cependant, profitant d’une hésitation de Clamadeu, Perceval finit par le jeter au sol et bondit sur lui, prêt à lui trancher la tête. « Grâce ! », s’écria Clamadeu.
Alors, à l’instar de son sénéchal, il dut accepter les conditions dictées par son vainqueur. Mais, pas plus que Kengrun, il ne voulut se rendre à Blodeuwen ni à Gornemant. Il accepta néanmoins d’aller se constituer prisonnier auprès du roi Arthur. Il promit aussi de voir le nain et la naine qu’avait insultés l’Homme Long et de leur dire qu’ils seraient incessamment vengés. Il dut également jurer de libérer, le lendemain avant le jour, les chevaliers prisonniers dans sa forteresse et de les laisser revenir sains et saufs, ainsi que de ne plus jamais chercher à inquiéter d’une manière ou d’une autre la belle Blodeuwen.
Sur ce, Perceval le laissa partir. Clamadeu se rendit directement à sa forteresse, et son premier geste fut de relâcher les prisonniers. Ceux-ci, qui avaient perdu tout espoir, ne se sentirent plus de joie. Ils s’en allèrent sur-le-champ, ne tarissant pas d’éloges sur le chevalier aux armes vermeilles qui avait vaincu Clamadeu et l’avait obligé à les libérer. Quant à ce dernier, quelque honte qu’il éprouvât de sa défaite, il tint sa parole et se dirigea vers Carduel, où résidait le roi Arthur, en suivant le même chemin qu’avait suivi auparavant son sénéchal Kengrun. Celui-ci avait parcouru la distance en trois étapes et s’était déjà présenté devant le roi. Après avoir loyalement conté comment le chevalier aux armes vermeilles l’avait vaincu, il avait de même transmis le message concernant le nain et la naine. Et Arthur, après l’avoir écouté attentivement, le retint à son service et au nombre de ses compagnons.
Or, le matin suivant, en sortant du logis où il avait passé la nuit, Kengrun, qui se trouvait au milieu d’un groupe de chevaliers, vit arriver un homme qui chevauchait péniblement dans son armure maculée de sang. Il reconnut immédiatement Clamadeu des Îles. « Seigneurs, seigneurs ! s’écria-t-il. Voici une aventure surprenante ! Ce chevalier aux armes vermeilles qui m’a moi-même terrassé est encore une fois vainqueur. Sachez-le, le chevalier que vous voyez est mon seigneur, Clamadeu des Îles. Par ma foi, je ne puis en croire mes yeux ! Je le tenais en effet pour le meilleur guerrier qui fût dans toute l’île de Bretagne. Assurément, les meilleurs sont parfois victimes de leurs faiblesses, tout comme les autres. » Et, là-dessus, Kengrun s’en fut à la rencontre de Clamadeu des Îles.
C’était un dimanche, et Arthur avait convié ses compagnons à tenir cour plénière. La reine occupait avec lui le haut d’une table. Autour d’eux avaient pris place ceux de la Table Ronde qui n’étaient pas partis en de lointaines expéditions : se trouvaient là, notamment, Girflet, fils de Dôn, Yvain, fils du roi Uryen, Bedwyr, l’un des plus anciens compagnons d’Arthur, Gauvain, fils du roi Loth d’Orcanie, et son frère Agravain, tous deux neveux d’Arthur, ainsi que bien d’autres guerriers qui devisaient joyeusement avec les dames et les jeunes filles. Quant à Kaï, le sénéchal et frère de lait d’Arthur, il fit une entrée remarquée : sans manteau, un chapeau de feutre blond sur la tête, ses cheveux noués en une tresse, il tenait à la main une baguette. Dans tout le royaume, nul chevalier n’avait si belle allure que lui, grâce à sa haute taille et à sa démarche souple et élégante. Néanmoins, chacun s’écarta de lui. On redoutait en effet ses sarcasmes, et l’on préférait ne point s’exposer à ses remarques perfides. Aussi personne ne lui adressa-t-il la parole. Kaï traversa la salle, s’approcha d’Arthur et lui dit : « Roi, ne crois-tu pas qu’il est temps de commencer à manger ? – Kaï, répondit Arthur, laisse-nous en paix. La cour est rassemblée, je le sais, mais par les yeux de ma tête, je ne toucherai à nul plat que nous n’ayons d’abord appris quelques nouvelles dignes de ce nom. Telle est la coutume quand mes compagnons sont rassemblés autour de moi. »
C’est alors que survint Clamadeu des Îles. Toujours revêtu de son armure maculée
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