Perceval Le Gallois
le Roi Pêcheur et restitueront joie et bonheur à tous ceux du royaume. N’as-tu pas entendu les pleurs et les lamentations de ceux devant qui passait la Lance qui saigne ? Sache-le, Perceval, si, la nuit dernière, tu avais eu l’audace d’interroger sur ce que tu voyais, le roi infirme aurait retrouvé l’usage de ses jambes et il aurait été désormais en mesure de gouverner sa terre pour notre plus grand bien à tous. Tu étais celui qu’on attendait, Perceval ! La preuve en est cette épée qui t’était destinée de toute éternité. Mais tu as échoué, Perceval, et cet échec résulte du péché que tu as commis en faisant mourir ta mère de douleur. Cela, il te faudra le payer très durement, crois-le bien. – Mais que puis-je faire ? demanda Perceval avec désespoir.
— Pour ta mère ? Tu ne peux rien. Les morts sont avec les morts et les vivants avec les vivants. J’ai vu mettre ta mère en terre, et j’en avais le cœur serré parce que je la savais morte par ta faute et pour t’avoir aimé plus que de raison. Mais puisque tu me demandes ce que tu peux faire, je vais te le dire : aide-moi à ensevelir cet homme que j’ai aimé. Il est digne de mes pleurs et des soins que je puis lui rendre. Au bout de ce chemin se trouve une lande dont les pierres nous permettront d’élever un tertre. C’est là que je voulais le transporter quand tu m’as rencontrée. »
Sans souffler mot, Perceval saisit le corps du chevalier entre ses bras robustes et le plaça sur le dos du cheval d’Onnen. Après quoi, tous deux suivirent à pied le chemin et débouchèrent dans la lande mentionnée par la jeune femme. Ils étendirent alors le corps dans un creux du terrain et réunirent toutes les pierres qu’ils purent trouver pour lui édifier un tertre. Cette besogne terminée, Onnen s’agenouilla et se mit à prier : « Beau doux ami, dit-elle à travers ses larmes, sache que jamais je ne t’oublierai. Que Dieu garde ton âme en son saint Paradis et qu’il te pardonne la faute que tu as commise lorsque tu étais en présence du Graal. » Puis elle demeura silencieuse, immobile, comme si pour elle rien n’existait plus.
« Que le Dieu miséricordieux ait pitié de lui, dit Perceval. Voilà une bien douloureuse histoire. Mais maintenant qu’il gît là, couché sous ces pierres, tu ne peux plus demeurer ici, chère cousine. Et comme je n’ai plus de raison de retourner au manoir de ma mère, comme me voici voué à m’en aller par des routes inconnues, viens avec moi, je t’en prie. Je te servirai du mieux que je pourrai. – Non, répondit-elle, je ne m’en irai pas d’ici que mes cheveux n’aient repoussé. – Il me semble, objecta Perceval, que tu ferais folie de veiller ainsi, toute seule, auprès d’un mort. Mieux vaudrait poursuivre l’homme qui l’a tué. Et je te promets, si je puis le rejoindre, de le combattre. Ou il me réduira à merci, ou bien moi, je lui ferai crier grâce. »
La douleur d’Onnen redoubla. Elle s’en prenait à présent à ses vêtements ; ses doigts les lacéraient avec fureur. « Non, je ne m’en irai pas avec toi ! cria-t-elle. Certes, tu pourrais emprunter le chemin empierré qu’on aperçoit d’ici, et par où s’en est allé le félon qui a tué mon ami. Mais que servirait de le tuer, maintenant qu’est mort celui que j’aimais ? La vengeance n’est pas même une consolation et, en outre, tu risquerais toi-même de te faire tuer par plus fort que toi !
— Je ne crains personne, répliqua le Gallois. Et, avec cette épée que m’a donnée le Roi Pêcheur, je sais que je puis vaincre même un adversaire supérieur à moi ! – Tu n’es qu’un enfant, Perceval ! Il te reste encore à apprendre ce qu’est la vie ! s’écria Onnen. Cette épée que tu portes au côté, et qui jamais encore n’a versé une goutte de sang, je sais par qui elle a été forgée. Je sais également que c’est la Dame du Lac, la nièce du Roi Pêcheur, qui l’a lui a envoyée pour qu’il la remette à qui pourrait la tirer du fourreau. Or, Perceval, tu l’as tirée du fourreau, et nul autre que toi, probablement, ne pouvait le faire. Mais ne va pas te figurer que cette épée te protégera de tout. Garde-toi bien de placer en elle toute ta confiance : elle te trahira à coup sûr, et, au moment où tu t’y attendras le moins, sa lame volera en deux morceaux. Cela dit, sans doute ignores-tu ses vertus merveilleuses : au premier coup que
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