Perceval Le Gallois
malheurs ! répondit-elle en sanglotant. – Comment cela ? s’étonna le Gallois. Je ne crois pas t’avoir jamais rencontrée ! – Tu as bien peu de mémoire, en vérité ! Ne te souvient-il pas du pavillon dans la clairière où tu t’es comporté en goujat ? »
Stupéfait, Perceval la dévisagea, mais il ne put la reconnaître. « Est-ce à toi que j’ai pris un anneau, un pâté et un baiser ? demanda-t-il soudain. – Oui, répondit-elle dans un sanglot. Et c’est par ta faute que tu me vois aujourd’hui si changée. Aussi, si tu veux m’en croire, pars au plus vite ! – Moi, fuir ? s’écria Perceval. Devant quel danger ? Devrais-je avoir peur ? Qui donc me menace ? – Seigneur, je me montre trop indulgente en te conseillant la fuite ! Je devrais au contraire te dire de rester. Ainsi serais-tu châtié de ton audace, et je pourrais me réjouir de ta mort ! – Qui donc me menace ? répéta le jeune Gallois. – Ne le sais-tu pas ? dit-elle. L’Orgueilleux de la Lande se trouve tout près d’ici ! C’est lui qui m’oblige à courir les routes en ce pitoyable appareil, et ce parce qu’il m’accuse de t’avoir cédé, le jour où tu m’as surprise dans le pavillon de la clairière. Il a juré de se venger de toi, de moi, ainsi que de tous ceux qui m’approchent. Jusqu’à présent, nul, contre lui, n’a pu sauver sa tête. Cependant, sache qu’avant de frapper, il conte à tous pourquoi il m’inflige cet abominable traitement. Je te le répète, enfuis-toi pendant qu’il est encore temps ! »
Elle l’en priait encore quand, tout armé et la lance au poing, l’Orgueilleux de la Lande sortit du bois en soulevant des tourbillons de poussière et de sable. Il galopa sur eux, rapide comme la foudre, et cria : « Malheur à toi qui as fait halte auprès de cette jeune fille ! Sache que, pour lui avoir adressé la parole et l’avoir retenue, ne fût-ce que de la longueur d’un pas, tu vas mourir ! »
Sa lance baissée et le bouclier solidement arrimé dans son poing, Perceval s’était mis sur la défensive. « Mais je ne te tuerai pas, reprit l’Orgueilleux de la Lande, avant de t’avoir raconté pour quel méfait cette femme – Dieu la maudisse ! – subit la honte où tu la vois. Un jour que j’étais allé au bois, je l’avais laissée seule dans un pavillon au milieu d’une fraîche clairière. D’aventure passa un valet gallois qui lui déroba un baiser : elle-même me l’a avoué. Mais si elle me mentit et fut consentante, qui pouvait empêcher l’autre de poursuivre son avantage ? Personne ne croira jamais qu’il se contenta d’un baiser sans rien prendre d’autre ! Le fait est trop établi, lorsqu’une femme donne sa bouche, elle donne le reste aussitôt après, surtout lorsque le tête-à-tête le favorise. Une femme a beau se défendre, elle peut bien se dérober, tenir l’homme à la gorge, l’égratigner, le mordre, hélas ! son plus ardent désir est de succomber ! Elle se défend tout en désirant la défaite, en l’appelant de tous ses vœux. Elle veut qu’on la prenne de force, lui épargnant ainsi tout regret, tout remords !
— J’ignore de quoi tu parles, rétorqua Perceval d’une voix très calme. – Ah ! tu ne vois pas ? C’est pourtant bien simple : m’est avis qu’il a triomphé d’elle. Ne lui a-t-il pas en outre retiré l’anneau que je lui avais donné et qu’elle portait à son doigt ? Il l’a emporté, l’impudent, et j’en suis bien fâché ! Au surplus, il n’est pas parti sans avoir bu d’un fort bon vin qui m’appartenait et mangé d’un pâté que je me réservais. Voilà de quoi mon amie paie le loyer, comme tu peux le voir. Elle doit me suivre en tous lieux sans jamais changer de vêtement ni se laver ; elle doit subir les atteintes du soleil, de la pluie et du gel, et, j’en ai juré, son palefroi ne sera ni ferré ni soigné, elle-même n’aura ni nouvelle robe ni nouveau manteau que je n’aie tué celui qui l’a forcée !
— Ce sont folies que tu débites, répondit Perceval, et fort indignes d’un chevalier. Sache-le, c’est moi qui lui pris un baiser de force, et elle s’en irrita grandement. C’est moi qui lui ai enlevé son anneau, et je dois dire qu’il m’a bien servi, puisque grâce à lui j’ai pu loger la nuit suivante chez un ladre qui refusait de m’héberger sans salaire. Voilà tout ce qu’il y eut entre nous, je le jure par Dieu tout-puissant,
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