Perceval Le Gallois
sauf que je ne partis pas sans manger un pâté et sans boire tout le vin que je voulus. – Par ma foi ! s’écria l’Orgueilleux, c’est merveille de t’entendre confesser ton forfait. Tu as donc, de ton propre aveu, mérité la mort. – La mort n’est pas si près de moi que tu l’imagines ! » dit Perceval.
Alors, sans ajouter un mot, ils fondirent l’un sur l’autre, et ils se heurtèrent avec tant de colère que leurs lances volèrent en éclats tandis que tous deux vidaient leur selle. À peine à terre, ils se relevèrent et, tirant leurs épées, se défièrent avec fureur. Mais, sur un faux pas, l’Orgueilleux de la Lande s’écroula, tandis que Perceval levait son épée sur sa tête. « Grâce ! » cria l’Orgueilleux. Et comme Gornemant lui avait recommandé d’épargner l’ennemi qui s’avoue vaincu, le Gallois réprima sa rage. « Chevalier, dit-il, je ne te ferai grâce que tu ne l’aies d’abord accordée à ton amie. Elle n’a pas mérité son supplice, je te le jure !
— Seigneur, dit le vaincu, je suis prêt à toute réparation qu’il te plaira de m’imposer. Tu n’as qu’à commander, j’exécuterai fidèlement tes ordres. Mais sache que si j’ai fait endurer à cette jeune fille tant de tourments, c’est d’un cœur affligé et avec d’infinies souffrances, car je la préfère à la prunelle de mes propres yeux. – Dans ce cas, dit Perceval, vis avec elle comme vous faisiez autrefois. Mène-la jusqu’au prochain manoir que tu possèdes et fais l’y baigner et se reposer jusqu’à ce qu’elle ait recouvré son teint vermeil. Alors, après l’avoir fait parer et vêtir bellement, tu la conduiras auprès du roi Arthur. Tu salueras le roi de ma part et te mettras en sa merci, équipé comme tu l’es pour l’heure. Tu devras aussi lui conter comment je t’ai renversé et pourquoi je l’ai fait. Tu narreras également, en présence de toute la cour, la pénitence que tu avais imposée à ton amie et à quelle misère tu l’as condamnée. Cela fait, tu prieras la reine de mander le nain et la naine qui sont à la cour, et tu leur diras, je te l’ordonne, que je ne reviendrai auprès d’Arthur que je les aie vengés de l’outrage que leur a infligé l’Homme Long. »
Après que l’Orgueilleux de la Lande eut promis de s’exécuter en tout point, ils se séparèrent. Le Gallois s’en fut seul à travers la forêt. L’Orgueilleux mena la jeune fille à son plus proche manoir, l’y fit baigner et se reposer. Puis il la fit vêtir et parer très richement, et il l’entoura de tels soins qu’elle ne tarda pas à recouvrer toute sa beauté. Enfin, au bout de quelques jours, tous deux partirent pour Kaerlion sur Wysg où, selon la rumeur, séjournait pour lors le roi Arthur.
Dès leur arrivée à Kaerlion, l’Orgueilleux de la Lande, toujours suivi de son amie, vint trouver Arthur. « Seigneur roi, dit-il, je suis ton prisonnier, fais de moi ce qu’il te plaira. Ainsi me le commanda le jeune chevalier aux armes vermeilles qui m’a vaincu en combat loyal. » Arthur comprit aussitôt de qui parlait l’Orgueilleux. « Désarme-toi, beau seigneur, répondit-il, et que Dieu donne joie et bonne aventure à celui qui t’envoie, car je ne connais meilleur chevalier que ce valet gallois. Quant à toi, sois aussi le bienvenu. Tu seras aimé et honoré parmi les miens.
— Seigneur roi, reprit l’Orgueilleux de la Lande, il m’a commandé autre chose, mais je ne puis m’exécuter qu’en présence de la reine et du nain et de la naine qui sont à la cour. » Arthur fit appeler Guenièvre, et celle-ci vint accompagnée du nain et de la naine. Et quand elle eut pris place aux côtés du roi, l’Orgueilleux conta comment il avait traité son amie, puis il termina en s’adressant au nain et à la naine : « Celui qui m’a envoyé ici m’a commandé de vous saluer et de vous dire qu’il ne reparaîtra à la cour du roi Arthur qu’après vous avoir vengés de l’affront que vous a infligé l’Homme Long. » À ces mots, le nain ne se tint plus de joie. « Ah ! Kaï ! s’écria-t-il, c’est pour le coup que tu vas payer ta dette, et tu n’attendras pas longtemps ! » Quant au roi, il regarda Kaï et lui dit d’un ton sévère : « Kaï, tu as été fort mal inspiré quand tu t’es moqué du valet gallois ! Tes railleries me l’ont fait perdre. Cependant, puisqu’il en est ainsi, je jure de ne pas me reposer deux nuits de
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