Perceval Le Gallois
Perceval glissa et se retrouva sur le dos.
De l’autre côté, à l’intérieur de la forteresse, dans une maison plus haute que les autres, Uatach, la fille de Scatach, regardait par une fenêtre ce qui se passait. Mince, élancée, elle avait fière allure, de longs doigts blancs et des sourcils très noirs. En apercevant le jeune Gallois, elle fut toute bouleversée. « Sur mon âme, se dit-elle, je n’ai jamais vu d’homme plus beau que celui-ci et, je le sens bien, je mourrai s’il ne répond à mon amour. » Se précipitant au-dehors, elle se dirigea vers le pont.
Une fois encore, Perceval tenta de sauter, mais il n’y réussit pas mieux que précédemment. De part et d’autre du pont, des jeunes gens s’exerçaient à sauter, qui se moquaient ouvertement du Gallois. Alors, celui-ci devint enragé : prenant son élan, il sauta en l’air en se balançant comme s’il se laissait glisser dans le vent et, d’un bond furieux, parvint à se tenir au milieu du pont. Et comme le pont ne se rétrécissait pas, ne devenait ni dur ni glissant sous lui, il atteignit l’autre rive sous l’œil ahuri des rieurs. « C’est bien, mon garçon, dit Scatach. On avait prédit qu’un jeune homme réussirait cette épreuve à la troisième reprise et ce sans même y avoir été préparé. M’est avis qu’il s’agissait de toi. »
Là-dessus, Uatach s’approcha et souhaita la bienvenue à Perceval. Les deux sorcières le firent entrer dans une grande salle très obscure où on lui servit un repas agréable et, la nuit venue, Scatach l’envoya coucher dans la maison des gardes, à l’entrée du pont. Une fois rendu, il s’y étendit sur un lit. Mais ses hôtes, frappés par la facilité avec laquelle il avait franchi le pont, remâchaient en leur cœur autant de haine que de jalousie envers ce jeune homme inconnu. Aussi, profitant de son sommeil, vinrent-ils l’assaillir, bien décidés à le tuer. Mais Perceval bondit, saisit son épée et les en frappa si bien que d’un seul coup, il trancha la tête de trois d’entre eux. Puis, il sortit et s’en alla dans la cour ficher ces trophées sur des poteaux. Cela fait, il se recoucha, et les autres gardes, sans insister, le laissèrent dormir. Cependant, le lendemain, quand il voulut sortir de la maison, les deux fils de Scatach s’interposèrent et le provoquèrent au combat. Il dégaina mais eut beau se défendre de son mieux, il fut blessé au bras et à la jambe. Alors, dans sa fureur, il se précipita sur le plus grand des deux et lui fit voler la tête sur le pré. Voyant l’autre s’enfuir, il renonça à le poursuivre, ramassa la tête et la porta jusqu’à la maison de Scatach. Et celle-ci qui, en compagnie de sa fille, avait assisté au combat depuis sa fenêtre, ne put s’empêcher de dire : « Quel terrible garçon ! Les prophéties ne mentaient pas en nous prévenant de tout redouter de sa part. Mais comme c’est le destin qui nous l’envoie, force nous est de faire pour lui ce que nous devons. »
Aussi, lorsque le jeune homme eut pénétré dans sa maison, elle lui dit : « Mon garçon, tu es encore plus noble que je ne pensais. Ce soir, tu logeras ici comme il sied à un valeureux guerrier. Mais nous allons d’abord soigner tes blessures, car il n’est pas convenable de te laisser ainsi. » Après l’avoir pansé, les deux sorcières lui servirent à boire et à manger. Puis elles lui préparèrent un bon lit moelleux dans une chambre où il put reposer.
Or, pendant la nuit, tandis qu’il dormait d’un profond sommeil, Uatach pénétra dans sa chambre. Se réveillant en sursaut, il bondit de sa couche. « Ne crains rien, lui dit Uatach, je viens à toi sans mauvaise intention. Recouche-toi, je ne te veux nul mal, au contraire. Je voulais seulement te demander si tu n’avais besoin de rien. – Tout est pour le mieux, répondit Perceval en se glissant de nouveau sous la couverture. Je te remercie de ta sollicitude. M’est avis que je n’ai jamais été si bien soigné. » Uatach s’assit sur le rebord du lit et écarta légèrement les plis de son manteau. « Ne souhaites-tu pas davantage ? » murmura-t-elle en soupirant.
Perceval voyait parfaitement où elle désirait en venir. « Fille, lui dit-il, ne sais-tu pas que c’est un grave péché que de coucher avec une femme quand on est malade et blessé ? – Mais tu es guéri ! répliqua Uatach. – Je souffre encore beaucoup de la blessure que j’ai à la
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