Perceval Le Gallois
d’une robe de fine toile en guise d’armure ! Tu n’auras certes besoin de rompre ni lance ni épée pour te battre avec un chevalier que tu trouveras dans un tel état !
— Kaï, répliqua calmement Gauvain, tu pourrais, s’il te plaisait, tenir un langage plus aimable à l’égard de ceux qui ont toujours été loyaux envers toi. Est-ce vraiment à mes dépens que tu devrais rassasier ta fureur et ton ressentiment ? M’est avis en effet que je ramènerai ce chevalier sans qu’il m’en coûte bras ni épaule ! – Tu as parlé sagement, mon neveu, dit Arthur. Va, prends des armes convenables, choisis ton cheval et engage conversation avec ce chevalier qui m’intrigue tant. »
Gauvain s’arma et se dirigea, sans se presser et comme si c’était un jeu, au pas de son cheval, vers l’endroit où Perceval continuait à méditer sur les gouttes de sang que sur la neige avait voulu boire le corbeau. Il le trouva de fait appuyé sur la hampe de sa lance, plus que jamais indifférent à ce qui se passait autour de lui, et, s’approchant en prenant grand soin de ne manifester nul signe d’impatience ou d’animosité, il lui dit d’une voix très douce : « Chevalier, veux-tu me faire l’honneur de me répondre ? » Perceval ne bougea pas d’un pouce. Au vrai, il n’avait rien entendu. Gauvain s’approcha davantage et fit le tour de Perceval de manière à se retrouver en face de lui. « Chevalier, reprit-il, si je savais que cela pût t’être aussi agréable qu’à moi, je m’entretiendrais volontiers avec toi. Je viens en effet te trouver de la part du roi Arthur, et te prier de le venir voir. Trois de ses hommes sont déjà venus t’aborder à ce sujet.
— C’est vrai, dit Perceval, mais ils se sont présentés de façon fort désagréable, surtout le dernier qui m’a agoni d’injures imméritées. C’est à mon grand regret que j’ai dû me battre contre eux, car il me déplaisait grandement d’être ainsi dérangé dans mes pensées. Tu veux savoir pourquoi ? Je songeais à la femme que j’aime le plus, et voici comment m’est venu son souvenir : je me promenais sur la neige et, en voyant cette neige, les gouttes de sang et le corbeau qui tentait de les boire, je me suis mis à penser que la peau de la femme que j’aime est blanche comme la neige, que ses pommettes sont rouges comme le sang et ses sourcils noirs comme le plumage du corbeau.
— Certes, répondit Gauvain, voilà une pensée qui n’est pas dépourvue de noblesse, je l’avoue, et je ne saurais m’étonner qu’il t’ait déplu d’en être distrait. – Qui es-tu ? demanda Perceval. – Gauvain est mon nom. Je suis le fils du roi Loth d’Orcanie et le neveu du roi Arthur. – Fort bien, dit Perceval. Puisque tu es des gens d’Arthur, peux-tu me dire si parmi eux se trouve un Homme Long qui ne sait proférer que paroles fielleuses et méchantes ? – Pour sûr qu’il y est ! Sache, mon ami, que cet Homme Long, comme tu l’appelles, est Kaï, le sénéchal et le frère de lait du roi Arthur. Et c’est le dernier chevalier contre lequel tu t’es battu. Il n’a pas lieu de s’en féliciter, car il s’est brisé le bras et l’omoplate en retombant sur le sol après que ton coup de lance l’eut projeté à bas de son cheval. – Eh bien ! dit Perceval, j’aime autant commencer à venger ainsi l’injure faite au nain et à la naine ! »
Gauvain fut très étonné de l’entendre ainsi parler du nain et de la naine. Il regarda attentivement le chevalier, mais il ne se souvenait pas de l’avoir jamais vu à la cour d’Arthur. « Qui es-tu donc, mon ami ? demanda Gauvain. – Je n’ai pas à te le cacher. Le nain et la naine m’ont nommé quand ils ont été insultés par l’Homme Long. Je suis Perceval, fils d’Evrawc, celui qui avait juré de ne pas revenir à la cour tant que l’injure faite au nain et à la naine n’aurait pas été vengée. – Perceval ! c’est donc toi que nous recherchions ! Sache que le roi Arthur lui-même te réclame depuis de longues semaines. Et tu peux revenir à la cour, maintenant qu’est vengé l’outrage de Kaï. Viens avec moi auprès du roi. – Volontiers, seigneur, répondit Perceval. Je suis heureux de te rencontrer. J’ai entendu vanter tes prouesses et ta courtoisie partout où je suis allé. Je te prie de m’accorder ta compagnie. » Et tous deux revinrent vers Arthur.
En apprenant que Gauvain ramenait le chevalier inconnu,
Weitere Kostenlose Bücher