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Perceval Le Gallois

Perceval Le Gallois

Titel: Perceval Le Gallois Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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Comme elles jeûnaient déjà depuis quatre jours, la faim l’emporta sur la chose jurée. Chacune en prit à satiété, tant les avait toutes éprouvées la privation de mets délectables. D’ailleurs, leurs maris respectifs avaient insisté de manière fort doucereuse pour qu’elles se restaurassent, leur affirmant même que le chevalier se trouvait hors de sa prison. Elles mangèrent et burent donc puis, une fois réconfortées, elles supplièrent leurs maris de leur dire avec certitude, pour l’amour de Dieu, où se trouvait le chevalier Énéour. Celui qui l’avait surpris en sa propre maison répondit : « Femmes, à vous qui avez été chacune sa maîtresse, je puis maintenant révéler que vous venez de déguster l’objet de votre grand désir, cet objet qui vous plaisait tant que vous lui avez sacrifié notre honneur. Certes, vous ne souhaitiez rien d’autre, eh bien ! on vous l’a servi ! Sachez-le, nous avons tué et mis à mort votre amant. Quant à vous, vous aurez toutes eu votre part de ce plaisir dont les femmes sont si friandes. En avez-vous eu suffisamment, toutes douze que vous soyez ? Nous voilà bien vengés de notre honte ! »
    « Les douze s’évanouirent à ce discours. Quand elles eurent repris leurs esprits, elles se trouvaient seules. Elles se mirent à soupirer et à pleurer, appelant la mort de leurs vœux. Elles ne se souciaient plus de ce qu’elles voyaient autour d’elles. Toutes firent alors le serment qu’elles ne mangeraient plus jamais, à moins qu’on ne leur servît un mets comparable. Et elles tinrent parole. Elles exprimèrent les plaintes les plus douloureuses au sujet du malheureux Énéour. L’une regrettait sa beauté, ses membres délicats mais robustes ; l’autre évoquait sa grande vaillance, une troisième son corps élégant et sa parfaite générosité, une quatrième ses flancs, les yeux qu’il avait si vifs et rieurs. Et une autre regrettait son cœur. « Ah ! malheureuses que nous sommes ! Énéour, qu’avons-nous fait de toi ? Les jaloux se sont cruellement vengés. Mais nous ne mangerons plus jamais, et ainsi serons-nous vengées à notre tour. »
    « Elles s’affaiblirent de jour en jour. Des parents vinrent les voir et les supplièrent de se nourrir, mais rien n’y fit ; elles ne tardèrent pas à mourir, les unes après les autres. Leurs parents les firent ensevelir dans ce cimetière, toutes les douze, en un cercle, auprès de cette chapelle où un prêtre chaque matin célèbre une messe pour le repos de leur âme et de celle du preux Énéour. Et moi, qui étais la suivante de Gwladys, j’ai juré de demeurer ici jusqu’à mon dernier souffle afin de pleurer ma maîtresse, ainsi que ses compagnes, et de veiller sur leurs tombes.
    « Mais quand le roi Arthur apprit ce qui s’était passé et la façon abominable dont s’étaient vengés les douze chevaliers, il en éprouva tant de fureur qu’il décida de châtier durement les coupables. Avec ses compagnons, il vint en personne assiéger la cité. Les douze chevaliers se défendirent avec énergie, mais ils furent tués au combat, et le roi donna l’ordre de brûler la cité pour effacer à jamais le souvenir de leur crime aussi odieux qu’infâme.
    « Voilà, seigneur chevalier. Je t’ai raconté cette histoire comme je la raconte à tous ceux qui, passant ici, s’étonnent de voir ces douze tombes disposées en cercle et portant chacune le nom d’un seul homme aimé par toutes ces femmes. Si tu le désires, tu peux aller prier dans la chapelle. Mais rien ne pourra atténuer le chagrin que je porte en moi.
    — Voilà une bien triste histoire, dit Perceval, et je puis seulement partager ta douleur. » Il entra dans la chapelle et y récita les prières que sa mère lui avait apprises. Quand il ressortit, il pleurait. La femme lui dit : « Fasse le Ciel que tu sois toujours fidèle à ta parole, chevalier, et puisse-t-il te conduire où tu désires aller ! Perceval ne répondit rien. Il alla reprendre ses armes, les revêtit et, sans ajouter un mot, sautant sur le dos de son cheval, il s’élança dans la forêt. Il pleurait toujours. Il s’arrêta à un carrefour d’où partaient des routes encombrées de souches et d’épines et regarda autour de lui. Il faisait beau. Le soleil brillait de tout son éclat, mais le cœur de Perceval était étreint d’une grande angoisse. « Hélas ! dit-il à haute voix, je suis donc maudit ! Je suis allé dans la

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