Perceval Le Gallois
message, et maintenant, je m’en retourne auprès de ceux qui souffrent par ta faute. » Sur ce, faisant faire demi-tour au mulet, elle se disposait à partir quand Arthur la héla : « Jeune fille ! dis-nous au moins ton nom ? » Elle s’arrêta un instant : « Roi Arthur, dit-elle, sache que l’on m’appelle Kundry la Sorcière. Je n’ai rien d’autre à dire, sinon que je rencontrerai certains d’entre vous sur les chemins qui mènent vers la demeure du Roi Pêcheur. » Là-dessus, elle flagella son mulet et sortit aussi vite qu’elle était entrée.
« Quel est ton avis ? demanda Arthur à Perceval. – Roi, je ne puis dire qu’une chose, je vais partir à la recherche de la Lance qui saigne et des autres merveilles que j’ai déjà vues. Ce que m’a reproché cette jeune fille est pure vérité, et je ne serai en paix avec moi-même que si je pars immédiatement. » Et, se levant, il demanda ses armes. « Perceval ! protesta le roi, c’est folie que de t’en aller ainsi sans même savoir vers où tu dois te diriger ! » Mais Perceval n’entendait plus les paroles d’Arthur. Une fois qu’il eut revêtu ses armes, il salua le roi, Yvain, Érec, Kaï et, sautant sur son cheval, il sortit de la forteresse.
Un long moment, Arthur demeura silencieux. Puis il s’exclama : « Hommes ! nous n’aurions pas dû le laisser partir ainsi. Comme Gauvain, il veut savoir ce qu’il en est de la Lance qui saigne et de la coupe d’émeraude que le sage Merlin disait être le Graal. Mais il n’est pas celui qui mettra un terme aux aventures. Souvenez-vous de ce que nous a dit la Demoiselle Chauve lorsqu’elle est venue nous voir dans son char tiré par des cerfs. Elle nous a laissé un petit chien et un bouclier, toujours suspendu à cette colonne. Elle nous a nettement déclaré que le Bon Chevalier destiné à terminer les aventures serait cause de bien des prodiges lorsqu’il pénétrerait dans cette salle. Elle nous a prévenus que personne, hormis lui, ne pourrait retirer le bouclier de sa place actuelle et lui substituer un autre bouclier, vermeil, lui, et orné d’un cerf blanc. Et elle nous a également prévenus que lorsque le Bon Chevalier viendrait ici, le petit chien bondirait de joie. Or, vous le savez pertinemment, Perceval n’a pas décroché ce bouclier, et le petit chien n’a manifesté nulle joie en sa présence. Aussi n’est-ce pas Perceval qui conquerra le Graal, soyez-en sûrs. Mais l’idée m’inquiète que ce jeune preux court mille dangers sur des routes inconnues.
— Cependant, dit Yvain, il a déjà prouvé sa valeur et sa force. Il t’a envoyé bien des chevaliers qu’il avait vaincus au combat ! – Certes, répondit Arthur, j’ai confiance en sa valeur, mais je regrette que nous ne l’ayons pas retenu près de nous. Si vous m’en croyez, nous irons après lui pour lui venir en aide s’il en a besoin. – Roi, tu as raison, dit Kaï. Allons sur ses traces et voyons ce que nous pouvons faire pour lui. » Yvain opina de même et s’en alla se préparer. Seul Érec demeura silencieux et ne prononça pas une seule parole (33) .
Un grand brouhaha parcourut toute la forteresse de Kaerlion. Arthur, Yvain et Kaï battaient le rappel de tous les chevaliers qui s’y trouvaient présents, et tous répondaient avec enthousiasme : « Nous irons sur les traces de Perceval et l’aiderons de tout notre pouvoir. » Le fracas des armes se répandait partout, de même que le hennissement des chevaux. Enfin, les dames et les jeunes filles se précipitèrent sur les murailles afin de voir partir la troupe, et la reine Guenièvre s’en vint elle-même, en compagnie de ses suivantes, saluer le roi et ses compagnons.
Seul un chevalier ne faisait pas partie de la troupe : Érec, fils d’Erbin. Après le départ de la jeune fille laide sur son mulet, il avait regagné son logis où l’attendait son épouse, Énide, fille du comte Énywl. Pourtant, Érec était un preux chevalier. Il avait combattu maintes fois aux côtés d’Arthur et de ses compagnons, accompli nombre d’exploits, et chacun lui rendait hommage pour ses prouesses et pour la justesse de son jugement. Mais depuis qu’il avait obtenu Énide pour femme, il commençait à aimer le repos et ses aises. Énide était à coup sûr l’une des plus belles femmes du royaume, et il l’aimait passionnément. Pour elle, il multipliait les fêtes et les divertissements ; il mandait musiciens et
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