Perceval Le Gallois
se passe-t-il ? s’écria-t-il. Est-ce une embuscade ? » Et, se retournant vers celle qui lui avait fixé ce rendez-vous : « Traîtresse, dit-il, tu m’as fait tomber dans un piège. – Tu es bien mal placé pour parler de traîtrise ! » répliqua-t-elle.
« Les onze femmes s’approchèrent et formèrent un cercle autour de lui. Il tenta de faire contre mauvaise fortune bon cœur. « Dames, dit-il, soyez les bienvenues. – Mais c’est pour ton malheur, répondirent-elles en chœur. Il est juste que ton imposture et ta présomption soient châtiées. Avant de sortir de ce lieu, tu recevras la récompense que mérite un homme fourbe, traître et déloyal ! » Gwladys prit alors la parole : « Un instant ! dit-elle. Avant qu’il ne paie sa forfaiture, il serait bon de préciser certaines choses. Je vais dire mon avis, puis je vous prierai toutes de dire le vôtre. » Elle s’adressa ensuite à Énéour : « Chevalier, ce n’est plus le moment de mentir. J’ai été pendant longtemps ton amie et je t’avais donné sincèrement tout mon amour. Est-ce vrai ? – Douce dame, répondit-il, je suis ton ami, ton vassal et ton chevalier pour te servir d’un cœur entier, sincère et parfait. »
« Une autre se leva, rouge de colère et pleine de mépris. « Énéour, tu n’es qu’un misérable ! Oser prononcer devant moi de telles paroles ! N’es-tu pas mon amant ? – Si fait, douce amie. Que Dieu me protège ! Mon cœur et mon amour ne te font pas défaut, et je sais bien que je t’aimerai toute ma vie. » Une autre encore se leva, ravagée par la jalousie. Elle le regarda d’un air farouche. « Infâme trompeur ! s’écria-t-elle. Ce n’est pas à moi que ces mots sont adressés ? En aimes-tu donc une autre que moi ? Tu m’as pourtant juré que tu étais tout à moi ! – Et je le maintiens, douce amie, répondit Énéour ; sois bien assurée que je suis tout à toi. Je t’aime avec sincérité, et je t’aimerai avec constance. – Quoi ? dit une autre, quelles fables racontes-tu là ? Est-ce que tu ne m’aimes pas comme tu l’as juré ? – Assurément, répondit Énéour, je t’aime de tout mon être et, de la même façon, je vous aime toutes avec autant de force que de sincérité. Je vous le répète, je vous aime toutes, ainsi que votre plaisir et votre jouissance ! Que puis-je vous dire d’autre ? »
« Elles se mirent à pousser de grands cris, injuriant Énéour et se querellant mutuellement. Puis elles se calmèrent et tirèrent leurs couteaux. « Énéour, dirent-elles, tu as commis un crime si grand que tu dois mourir sur-le-champ. Personne, sauf Dieu lui-même, ne pourra te sauver ! » Devant cette troupe qui le menaçait, Énéour recula. « Dames ! cria-t-il, jamais vous n’aurez la cruauté de commettre un si grave péché ! Si maintenant j’avais le heaume lacé, si j’étais monté sur un cheval de bataille, le bouclier pendu au cou, la lance au poing, je mettrais ici pied à terre et m’en remettrais à votre miséricorde. Sachez que si je meurs de si belles mains, je serai déclaré martyr et placé aux côtés des saints, pour avoir été comblé par le destin ! »
« En entendant ce discours, chacune des femmes se mit à pleurer. Les belles paroles du chevalier leur avaient attendri le cœur. Celle qui avait entendu les onze autres en confession leur dit : « Dames, engageons-nous fermement à faire ce qui ne devrait pas vous affliger, du moins je le souhaite. – Tu es de bon conseil, Gwladys, dis-nous ce qu’il convient de faire. » Elle s’adressa à Énéour : « Chevalier, dit-elle, tu nous as parfaitement trompées jusqu’au moment où nous nous en sommes aperçues. Sache que nous ne t’aimerons plus jamais de la même manière. Nous étions toutes sincères envers toi, et je pense que tu l’étais peut-être aussi. Voici ce que je te propose : celle qui te plaira le mieux doit t’appartenir et te rester, mais aucune n’entend partager son amant. – Cela, protesta Énéour, je ne le ferai pour rien au monde. Je vous aime toutes, et je ne saurais choisir l’une de vous. – Nous ne pouvons l’accepter ! s’écria Gwladys avec colère. Exécute mon ordre, ou bien, sur ma foi, tu mourras. Choisis parmi nous celle que tu veux en t’engageant à ne jamais revoir les autres ! »
« Énéour comprit qu’il ne sauverait sa vie qu’à cette condition. Il répondit à Gwladys : « Dame, c’est
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