Perceval Le Gallois
par-dessus la croupe de son cheval. Érec bondit sur lui en brandissant son épée. « Grâce, seigneur ! s’écria le vaincu, et tu obtiendras tout ce que tu voudras. – Je ne veux qu’une chose, dit Érec, c’est que cessent à jamais pareils jeux, que s’évanouissent muraille de nuages, enchantement et magie. Mais, auparavant, il faut que tu me dises qui tu es et pourquoi l’on a institué cette épreuve.
— Je vais tout te dire, répondit le vaincu. Sache que je m’appelle Mabonagrain et que je suis le neveu du roi Evrain. La jeune fille que tu as vue assise dans le pavillon est mon amie. Je la connaissais depuis mon enfance et je l’aimais de grand amour quand, un jour, elle me pria de lui octroyer un don. Que pouvais-je lui refuser ? Je lui promis ce don sans savoir en quoi il consisterait, et elle se garda bien de me le dire avant que je ne fusse chevalier. Alors, elle me révéla que j’avais juré de ne sortir de ce verger que je n’eusse été vaincu par un chevalier. Ainsi pensait-elle m’avoir tout à elle et pour toujours en cet endroit. Par ses enchantements, elle fit en sorte que le verger fût entouré d’une nuée qui le dérobait aux regards du monde extérieur. Maintenant, seigneur, tu sais tout, et je vais t’indiquer le moyen de dissiper l’enchantement. Tu as vu le cor qui est suspendu à une branche du pommier, devant le pavillon ? Prends-le et, sitôt que tu en sonneras, la nuée disparaîtra pour toujours. Sache qu’elle ne devait pas disparaître avant que n’eût sonné du cor un chevalier qui m’aurait vaincu par les armes. »
Érec s’approcha du pommier, saisit le cor et en sonna. Au premier son qu’il en tira, la nuée disparut et tous ceux qui attendaient autour du verger poussèrent des cris de joie. Énide ne fut pas la dernière à s’en féliciter qui, se précipitant au cou d’Érec, l’embrassa tendrement. Le roi Evrain, qui ne se réjouissait pas moins d’avoir retrouvé son neveu Mabonagrain, invita Érec et Gwiffret pour cette nuit-là. Le lendemain, Érec alla prendre congé du roi. « Maintenant que j’ai réussi cette épreuve, dit-il, et prouvé à ma femme que je n’étais pas un lâche, je puis rejoindre sans honte le roi Arthur et m’en aller avec lui à la recherche de Perceval. » Et, accompagné de Gwiffret et d’Énide, il s’élança sur la grande route (34) .
8
La Gaste Forêt
En quittant la cour d’Arthur, après les durs reproches de la hideuse Demoiselle au Mulet, Perceval s’était enfoncé dans la forêt en quête des chemins qui le mèneraient à la demeure du Roi Pêcheur. Mais plus il avançait, plus il se voyait égaré en des contrées qu’il ne reconnaissait pas et où il ne trouvait ni gîte, ni nourriture. Il passait la nuit dehors, au pied d’un arbre, avec une pierre en guise d’oreiller. Et, en se réveillant, ses vêtements humides de rosée, dans la fraîcheur de l’aube, il se désespérait d’atteindre jamais le but qu’il s’était fixé.
Un matin, cependant, alors que le soleil encore bas brillait d’un vif éclat, il lui sembla se trouver dans un lieu où il était déjà venu. Devant lui, un grand et bel arbre lui rappelait quelque chose. Il s’arrêta, descendit de son cheval et se mit à songer. Des images confuses lui revinrent en mémoire. « Par ma foi, se dit-il, m’est avis que me voici tout près du manoir de ma mère, en la Gaste Forêt. Ces arbres me sont familiers, et voilà les bois où j’ai tant chassé avec mes javelots. Hélas ! qu’en est-il maintenant de la maison où j’ai vécu ? Je n’y ai plus parent ni ami, et tout doit être abandonné. »
Il se mit à pleurer d’abondance puis décida qu’il irait quand même jusqu’au manoir afin d’en savoir davantage sur la mort de sa mère.
Il remonta sur son cheval et repartit le long d’un sentier qu’il reconnaissait parfaitement. Il traversa la clairière où il avait rencontré les chevaliers d’Arthur et, bientôt, sortant de la forêt, pénétra dans la vallée où, devant lui, à quelque distance encore, se dressait la demeure qui avait abrité son enfance. « Par Dieu tout-puissant ! s’écria-t-il, je ne pensais jamais revenir ici. » Fort surpris que le manoir ne fût pas en ruine, il s’avança jusqu’au pont et le traversa non sans une profonde angoisse au cœur, car il foulait la place où était tombée sa mère, morte de chagrin, lorsqu’il était parti, plein d’insouciance, se
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