Perceval Le Gallois
faire armer chevalier à la cour d’Arthur.
Or, un valet sortit de la maison et s’avança vers lui en le saluant, l’aida à descendre de cheval et prit celui-ci par la bride pour le mener à l’écurie, tandis que l’on conduisait Perceval dans la grande salle qu’il connaissait bien. Des valets vinrent à sa rencontre, le désarmèrent et le firent asseoir dans un grand fauteuil, celui de sa mère, et il en fut grandement ému. Il reconnut certains des serviteurs, mais eux ne le reconnurent pas, tant il avait changé. Comment jamais croire, en effet, que ce chevalier errant et l’adolescent fougueux qu’ils avaient vu partir étaient le même homme ? Et Perceval songeait avec tristesse qu’il ne connaîtrait plus jamais le bonheur, puisqu’il avait causé, par sa désinvolture, la mort de la femme qui lui avait donné la vie.
C’est alors que, venant d’une chambre voisine, apparut une gracieuse jeune fille, blanche comme fleur de mai nouvelle. Fort richement vêtue d’une robe de lin blanc dont les bords étaient tissés de fils rouges, elle vint droit à Perceval et le salua, lui souhaitant la bienvenue en ce manoir. Il se leva, lui rendit son salut, non sans s’étonner beaucoup de la voir là. Elle le conduisit jusqu’à une couche recouverte de fourrures blanches et demanda qu’on apprêtât rapidement le repas. Après quoi, elle demanda à Perceval : « Seigneur, où as-tu passé la nuit ? – Amie, répondit-il, en un lieu qui n’avait guère d’agrément : dans la forêt, au pied d’un arbre. – Rassure-toi, cette nuit, je te promets un bon lit pour te reposer des fatigues de ton voyage. »
Comme ils s’étaient mis à deviser de choses et d’autres, brusquement, la jeune fille soupira et fondit en larmes. « Que se passe-t-il ? demanda Perceval. Pourquoi pleures-tu si fort, belle amie ? – Seigneur, pardonne-moi, répondit-elle, mais c’est à cause de toi. Le souvenir de mon frère me fait mal, lui que j’ai à peine connu, car je l’ai quitté, alors qu’il n’avait que deux ans, pour être élevée par mon oncle et ma tante, très loin d’ici. Je ne sais rien de lui. J’ignore s’il est mort ou vivant, et il était tout mon réconfort et toute mon espérance. Je ne saurais t’en dire davantage, sinon que lorsque je vois un chevalier, je ne puis m’empêcher de m’attendrir et de pleurer. – Pourquoi donc ? reprit Perceval. En quoi la seule vue d’un chevalier peut-elle tant te contrister ?
— Je vais te le dire, murmura la jeune fille, et ce sera la pure vérité. Je n’ai plus ni frère ni sœur, je n’ai plus ni père ni mère, et ma solitude en cette Gaste Forêt m’inspire grand-peur. Il advint qu’un jour, je ne sais pas au juste quand, mon frère, qui était allé dans le bois se divertir avec ses trois javelots qu’il lançait devant lui, rencontra par hasard des chevaliers. Or, ma mère, ayant déjà perdu mon père ainsi que mes deux autres frères dans des combats, avait élevé ce dernier fils dans une totale ignorance de la chevalerie. Elle espérait ainsi lui épargner le triste sort de son père et de ses aînés. Je ne sais si cette rencontre a été voulue par Dieu ou par le diable, mais mon frère n’a plus eu qu’une idée en tête : se rendre à la cour du roi Arthur pour y devenir chevalier. Et voilà pourquoi il partit, un matin, sans même se soucier du chagrin qu’il causait à sa mère. Oui, il est parti pour la cour du roi et, depuis, je n’en ai plus entendu parler. Quant à notre mère, elle tomba, pâmée de douleur, au moment où il la quitta. Mon oncle, qui venait de perdre sa chère épouse et qui, depuis lors, habite un ermitage non loin d’ici, emporta le corps de notre mère et le déposa dans un beau tombeau, devant son ermitage. Elle était sa sœur, et il la chérissait tendrement. Voilà, seigneur, pourquoi je pleure chaque fois que je vois un chevalier. Quant à moi, comme ma mère était morte et que je n’avais plus de famille, je suis venue m’installer dans cette maison que j’essaie de tenir du mieux que je peux. »
En entendant ce discours, le chagrin envahit si fort le cœur de Perceval qu’il se mit à verser d’abondantes larmes. La jeune fille le regarda avec étonnement : « Et toi, mon ami, pourquoi pleures-tu ainsi ? – Tu m’as conté là une bien triste histoire, et j’en éprouve grand-pitié. » Elle le dévisagea plus attentivement. « Dis-moi, chevalier, quel est ton
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