Perceval Le Gallois
C’est une lumière qui pénètre au fond de toutes choses. Rien ne peut faire chanceler cette force d’amour. Tous ceux à qui il manifeste son amour connaissent en cet amour une joie intense. Mais, en ce monde, les hommes agissent fort diversement : ils peuvent, à leur guise, acquérir son amour ou bien s’attirer sa colère. Demande-toi lequel des deux te sera du plus grand secours. Le malheureux qui n’éprouve point de repentir fuit le loyal amour divin ; l’homme qui reconnaît ses torts et souhaite les expier s’attire une grâce sans prix. Cette grâce lui viendra de celui qui sonde jusqu’au tréfonds de nos pensées les plus secrètes. Car la pensée peut se soustraire au regard du soleil, la pensée, bien qu’aucune serrure ne l’enferme, peut demeurer cachée, impénétrable à toute créature mais, dans quelques ténèbres qu’elle se complaise, Dieu la déchiffre sans peine. Il a le pouvoir de tout éclairer, et son éclat rayonne à travers la paroi ténébreuse dont s’enveloppe la pensée, il plonge jusqu’au fond d’un élan que nul n’aperçoit ni ne peut entendre.
« Quand la pensée jaillit du fond de nous-mêmes, elle n’est jamais si rapide que Dieu n’ait eu le loisir de l’examiner avant que du cœur elle n’arrive jusqu’à la peau. Et quand cette pensée est pure, il l’accueille avec bonté. Si Dieu sait ainsi pénétrer toutes nos pensées, quelle ne doit pas être sa douleur devant les actes que nous dicte notre faiblesse ! Quand les œuvres d’un homme écartent de lui la faveur divine et accablent Dieu de honte, de quel secours lui serait donc le savoir du monde ? Où sa pauvre âme pourrait-elle trouver refuge ? Si tu es décidé à affliger Dieu, c’est en définitive toi-même que tu affligeras le plus. Tourne donc ton cœur vers le bien ; mérite que Dieu récompense ton bon vouloir (35) . »
Perceval lui dit alors : « Bel oncle, je serai toujours heureux que tu m’aies si bien instruit sur celui qui juge nos actes selon leur valeur. Depuis mon âge le plus tendre jusqu’à ce jour, j’ai vécu dans l’insouciance puis dans l’inquiétude parce que je craignais que ma foi ne fût pas récompensée. » Et, sans plus attendre, Perceval entreprit de raconter à l’ermite ce qu’il avait fait dans sa vie, et ce sans rien omettre ni de ses fautes ni de ses faiblesses.
Quand il eut terminé son récit, l’ermite lui demanda : « Beau neveu, est-ce que tu mènes toujours deux chevaux avec toi ? – Non, cher oncle, je n’en ai qu’un seul et n’en veux pas davantage. Mais j’ai rencontré hier soir un chevalier qui me mit fort en courroux : nous venions, ma sœur et moi, de quitter la forêt quand, poussé par la convoitise de la jeune fille, il vint m’assaillir et me heurta si violemment qu’il brisa sa lance contre mon bouclier. Je l’ai alors frappé avec tant de colère que ma lance l’a transpercé jusqu’à ressortir entre ses épaules. Puis, je l’ai abandonné là-bas, à même le sol, et j’ai emmené son cheval. Si tu veux le garder, prends-le. Il est fort et grand, du reste plus docile qu’un agneau. – Je te remercie, beau neveu, mais je n’ai que faire d’un cheval puisque j’ai décidé de demeurer ici jusqu’à ce que Dieu me rappelle à lui. Permets-moi toutefois de te poser une question : ne te déplaît-il pas de tuer ainsi les gens, sous l’emprise de la colère ? – Que Dieu m’aide ! répondit Perceval. Si je ne l’avais tué de cette façon, il n’aurait eu aucun scrupule à me mettre à mort pour ravir ma sœur ! Je n’ai fait là que me défendre. – Certes, admit l’ermite, mais sous le coup de la colère, et celui qui se laisse dominer par sa colère est plein de haine. Et Dieu sait jusqu’où cette haine peut le mener ! »
Perceval devint tout pensif et morose. « Écoute, reprit l’ermite, je vais te faire un aveu : moi aussi, j’ai souvent agi de manière inconsidérée, je me suis laissé emporter par la colère et l’orgueil. J’ai transgressé bien des commandements en recherchant la gloire et l’amour des femmes. Entraîné par ma jeunesse en sa première fleur que séduisaient les hautes vertus d’une dame, je chevauchai en maints pays afin de la servir et, pour elle, je dus soutenir plus d’un rude combat. J’aimais tant courir les contrées lointaines en quête d’aventures hasardeuses que je ne pris jamais part à des joutes régulières. L’amour de cette
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