Perceval Le Gallois
attendre. Ils chevauchèrent tant et à si grande allure par la forêt qu’ils atteignirent bientôt leur manoir. Quoique la nuit fût très avancée, néanmoins les valets accoururent pour les accueillir, déposèrent à terre la jeune fille et emmenèrent les chevaux vers les écuries. Une fois dans la maison, Lawri commanda qu’on servît le repas. Après que Perceval se fut désarmé en un tournemain, les valets apportèrent de l’eau pour que leurs maîtres pussent se laver les mains ; puis ceux-ci s’assirent et commencèrent à manger. Ils eurent abondance de barbeaux, brochets, saumons et perches que les pêcheurs avaient pris dans la rivière. Le repas terminé, ils se délassèrent un moment pendant qu’on apprêtait à Perceval un lit de paille battue recouvert d’une étoffe moelleuse et aussi belle que chaude. On y ajouta un traversin et des oreillers puis, venant chercher Perceval, on le déchaussa et le coucha.
Perceval s’endormit aussitôt, car il était fort las. Quant à sa sœur, qui l’aimait de tout son cœur, elle entra dans sa chambre et se coucha sans plus rien dire. Ils se reposèrent ainsi toute la nuit et, dès qu’on put voir le jour et que le soleil se leva, illuminant le monde de ses splendides rayons, Perceval se leva et se prépara. Nombreux furent ceux qui vinrent l’aider. Son haubert lui fut apporté, et il enfila ses chausses. Il allait mettre ses éperons quand sa sœur arriva et se précipita vers lui, le prenant dans ses bras et lui disant : « Frère, que veux-tu faire ? Mon cœur est plein d’angoisse à la pensée que tu veux partir. Il ne me restera qu’à mourir de douleur, si je ne t’accompagne. Je t’assure qu’à moins de partir, ma vie sera bien courte, car tu me laisseras affligée et solitaire en ces bois. Pourquoi tiens-tu tellement à partir, mon frère, en me laissant plongée dans l’affliction ?
— Ma sœur, répondit Perceval, ne te trouble pas. Je suis sûr que nous nous reverrons bientôt, soit que je revienne ici, soit que tu me rejoignes où je serai. Je ne puis tarder davantage à poursuivre la tâche que j’ai entreprise. Sois donc sage et patiente et, au lieu de t’abandonner à ta douleur, aie confiance en moi. » Là-dessus, malgré les pleurs de Lawri, il bondit en selle et, passant le pont, s’engagea sur une route qui traversait la Gaste Forêt (36) .
9
Le Château de l’Échiquier
À l’extrémité d’une lande où foisonnaient ajoncs et bruyères, Perceval se retrouva devant une rivière large, majestueuse et d’une telle profondeur que nul ne la pouvait traverser sans bateau. Il alla jusqu’au bord de l’eau et s’arrêta quelques instants pour en examiner les alentours. Il lui sembla que c’était dans ces environs qu’il avait rencontré le Roi Pêcheur sur sa barque. Mais, à cette pensée, son cœur se serra d’angoisse et s’alourdit de colère contre lui-même. Il aurait bien voulu passer la rivière, car il se persuadait que sur l’autre rive se trouvait la forteresse où il avait été le témoin du singulier cortège. Il se mit alors à prier Dieu qu’Il lui accordât la grâce de trouver un pont ou un gué pour ce faire, puis chevaucha jusqu’au milieu de la journée.
Enfin, sur la pente d’un coteau, il découvrit une allée transversale qui, bordée de haies touffues, et ornée de statues et de piliers, tous en grès rouge ou en marbre blanc – il devait y en avoir un bon millier –, menait à deux manoirs. Il la contourna mais, tout en s’étonnant de la richesse du lieu, ne trouva ni pont ni gué qui lui permît de franchir l’eau. Revenant alors en arrière, il remarqua un portail qu’il passa immédiatement, dans l’espoir de trouver au-delà quelqu’un qui pût le renseigner. Il arriva dans une cour où était assise, sous un bel arbre aux branches verdoyantes, une jeune fille occupée à peigner ses cheveux blonds. En l’entendant approcher, celle-ci se retourna et lui dit : « Bel ami, ne t’inquiète pas. Tu auras le passage que tu cherches. » Elle se leva et se dirigea vers le portail. Perceval désirait tellement passer la rivière qu’il la suivit sans rien lui demander. Auprès du portail attendait, derrière une haie d’épines, une mule toute sellée. La jeune fille monta sur le dos de l’animal et se dirigea vers la rive. Perceval la rejoignit alors qu’elle dénouait la corde qui retenait à la berge un petit chaland. Elle le fit vaciller sautant à
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