Perceval Le Gallois
femme ouvrit certes mon cœur à de grandes joies. Hélas ! celles-ci sont souvent éphémères ! Soutenu par ce puissant amour, je brûlais d’accomplir au loin mille périlleuses prouesses qui me permissent d’obtenir ses faveurs. Peu m’importait que l’adversaire fût païen ou chrétien, je ne désirais que combattre, et j’attendais de ma dame des récompenses sans fin.
« C’est ainsi que, pour lui complaire, je parcourus le monde. Fallait-il transpercer de ma lance quelque redoutable adversaire ? Je passais les montagnes, franchissais les mers. Je me rendis jusqu’en des pays où vivaient des hommes qui, pour se battre, utilisaient le feu ; je poursuivis des monstres de toutes sortes, tuai sans pitié tous ceux qui prétendaient s’opposer à moi. Au cours d’une de ces expéditions, je rencontrai ton père, le noble Evrawc. Il me reconnut sur l’heure comme étant le frère de sa tendre épouse. Jamais pourtant jusqu’alors il n’avait vu mon visage. Il faut bien d’ailleurs convenir qu’à cette époque – j’étais encore imberbe –, nul homme n’était plus beau que moi. Il entra dans la maison où l’on m’hébergeait et, lorsqu’il me nomma, je le démentis d’abord, ne voulant pas avouer qui j’étais, mais il me pressa tellement de questions et me donna tant de marques d’affection que je finis par lui avouer, dans le plus grand secret, qu’il ne s’était point trompé. Il en ressentit une grande joie et me fit don de présents qui me charmèrent, et je lui offris moi-même des souvenirs dont il se montra heureux. Il est dans cette chapelle un reliquaire plus vert que le gazon des prés : je l’ai fait tailler dans la pierre précieuse que m’avait donnée ce chevalier au cœur pur.
« Arriva cependant un temps où je fus las de cette vie. Ma dame m’avait délaissé, sans doute pour s’ouvrir à de nouvelles amours, et j’en étais très mortifié. Je retournai dans ma patrie et fus assez heureux pour y épouser une femme digne de moi. Hélas ! Dieu a voulu me châtier : mon épouse était stérile et ne me donna point de descendance. Voilà pourquoi, touché par le désarroi de ta mère lorsqu’on lui ramena son cher Evrawc mutilé (il devait mourir peu après), j’emmenai ta sœur afin de l’élever tendrement comme notre propre enfant. Cependant, vois-tu, mon neveu, je n’avais pas encore assez expié les fautes commises durant ma jeunesse : Dieu a voulu que je perdisse mon épouse au grand cœur. Je dus l’enterrer, de l’autre côté de la chapelle, non loin de la tombe de ta mère. Mon chagrin fut immense, et c’est pour lors que je décidai de vivre ici, passant le jour dans le dénuement, la nuit en prières.
— Ah ! dit Perceval en soupirant. Que ne puis-je aussi me retirer dans une forêt pour y vivre dans la méditation et le silence ! Hélas, cela m’est interdit, car j’ai fait un vœu auquel je ne dois pas me dérober, celui de revenir auprès du Roi Pêcheur et de lui demander la signification de la Lance qui saigne et de la coupe d’émeraude qu’on appelle le Graal. Leur vision me poursuit et me hante, et je sais bien que je ne trouverai de repos que je n’aie posé les questions qu’il faut. – Perceval, repartit l’ermite, il n’est pas en mon pouvoir de te révéler quoi que ce soit à propos du Graal. Mais pour ce qui est de la Lance qui saigne, je puis t’enseigner ce que je sais à ce sujet. – Parle, mon oncle, et je t’écouterai. – Tu l’as vu, le Roi Pêcheur boite et ne se déplace qu’à grand-peine. Une blessure qu’il a reçue à la jambe est, tu le sais, cause de son infirmité. Ce que tu ignores, c’est que cette blessure est non seulement incurable mais qu’elle lui vaut, à certains moments, des souffrances intolérables. Les gens qui entourent le roi Pellès ont remarqué, un jour où il avait neigé et où sévissait un froid très vif, que leur seigneur souffrait plus que d’habitude. L’un d’eux eut l’idée d’aventurer la pointe de la lance dans la plaie du roi comme si, par ce geste, on pouvait la cicatriser. Or, si le roi Pellès en fut soulagé, depuis lors, la lance demeura ensanglantée et rouge.
Les habitants de Corbénic voient donc avec chagrin le retour des jours où s’achève la course de certains des astres qui, au firmament, s’élèvent très haut les uns au-dessus des autres et qui, d’une marche inégale, vont à l’encontre des autres étoiles : ces
Weitere Kostenlose Bücher