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Pilote de guerre

Pilote de guerre

Titel: Pilote de guerre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Antoine de Saint-Exupéry
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dirai rien à mon équipage. Si j’amorce une vrille, ils l’apprendront bien assez tôt ! Je vois la planche de bord… Je ne vois plus la planche de bord… Et je me sens triste, dans ma sueur.
    La vie m’est revenue tout doucement.
    — Dutertre !…
    — Mon Capitaine ?
    J’aimerais lui confier ce qui s’est passé.
    — J’ai… cru… que…
    Mais je renonce à m’exprimer. Les paroles consomment trop d’oxygène, et mes trois mots m’ont déjà essoufflé. Je suis un faible, faible convalescent…
    — Qu’y avait-il, mon Capitaine ?
    — Non… rien.
    — Mon Capitaine, vous êtes vraiment énigmatique !
    Je suis énigmatique. Mais je suis vivant.
    — … ne… ne nous… ont pas eus…
    — Oh ! mon Capitaine, c’est provisoire !
    C’est provisoire : il y a Arras.
    Ainsi, pendant quelques minutes, j’ai cru ne point revenir, et cependant je n’ai pas observé en moi cette angoisse brûlante qui, dit-on, blanchit les cheveux. Et je me souviens de Sagon. Du témoignage de Sagon, auquel nous rendîmes visite quelques jours après le combat qui l’abattit, voilà deux mois, en zone française : qu’avait-il éprouvé, Sagon, quand les chasseurs l’ayant encadré, cloué en quelque sorte à son poteau d’exécution, il s’était tenu pour mort dans les dix secondes ?

IX
    Je le revois avec précision, couché dans son lit d’hôpital. Son genou a été accroché et brisé par l’empennage de l’avion, au cours du saut en parachute, mais Sagon n’a pas ressenti le choc. Son visage et ses mains sont assez grièvement brûlés, mais, tout compte fait, il n’a rien subi qui soit inquiétant. Il nous raconte lentement son histoire, d’une voix quelconque, comme un compte rendu de corvée.
    — … J’ai compris qu’ils tiraient en me voyant enveloppé de balles lumineuses. Ma planche de bord a éclaté. Puis j’ai aperçu un peu de fumée, oh ! pas beaucoup, qui semblait provenir de l’avant. J’ai pensé que c’était… vous savez il y a là un tuyau de conjugaison… Oh ! ça ne flambait pas beaucoup…
    Sagon fait la moue. Il pèse la question. Il estime important de nous dire si ça flambait beaucoup ou pas beaucoup. Il hésite :
    — Tout de même… c’était le feu… Alors je leur ai dit de sauter… !
    Car le feu, dans les dix secondes, change un avion en torche !
    — J’ai ouvert, alors, ma trappe de départ. J’ai eu tort. Ça a fait appel d’air… le feu… J’ai été gêné.
    Un four de locomotive vous crache dans le ventre un torrent de flammes, à sept mille mètres d’altitude, et vous êtes gêné ! Je ne trahirai pas Sagon en exaltant son héroïsme ou sa pudeur. Il ne reconnaîtrait ni cet héroïsme ni cette pudeur. Il dirait : « Si ! Si ! j’ai été gêné…» Il fait d’ailleurs des efforts visibles pour être exact.
    Et je sais bien que le champ de la conscience est minuscule. Elle n’accepta qu’un problème à la fois. Si vous vous colletez à coups de poing, et si la stratégie de la lutte vous préoccupe, vous ne souffrez pas des coups de poing. Quand j’ai cru me noyer, au cours d’un accident d’hydravion, l’eau, qui était glacée, m’a paru tiède. Ou, plus exactement, ma conscience n’a pas considéré la température de l’eau. Elle était absorbée par d’autres préoccupations. La température de l’eau n’a laissé aucune trace dans mon souvenir. Ainsi la conscience de Sagon était-elle absorbée par la technique du départ. L’univers de Sagon se limitait à la manivelle qui commande la trappe coulissante, à une certaine poignée du parachute dont l’emplacement le préoccupa, et au sort technique de son équipage. « Vous avez sauté ? » Point de réponse. « Personne à bord ? » Point de réponse.
    — Je me suis cru seul. J’ai cru que je pouvais partir… (il avait déjà le visage et les mains grillés). Je me suis soulevé, j’ai enjambé la carlingue et me suis maintenu d’abord sur l’aile. Une fois là, je me suis penché vers l’avant : je n’ai pas vu l’observateur…
    L’observateur, tué net par le tir des chasseurs, gisait dans le fond de la carlingue.
    — J’ai reculé alors vers l’arrière, et je n’ai pas vu le mitrailleur…
    Le mitrailleur, lui aussi, s’était écroulé.
    — Je me suis cru seul…
    Il réfléchit :
    — Si j’avais su… j’aurais pu remonter à bord… Ça ne flambait pas tellement fort… Je suis resté, comme ça,

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