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Pilote de guerre

Pilote de guerre

Titel: Pilote de guerre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Antoine de Saint-Exupéry
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longtemps sur l’aile… J’avais, avant de quitter la carlingue, réglé l’avion au cabré. Le vol était correct, le souffle supportable, et je me sentais à mon aise. Oh ! oui je suis resté longtemps sur l’aile… Je ne savais pas quoi faire…
    Non qu’il se posât à Sagon des problèmes inextricables : il se croyait seul à bord, l’avion flambait, et les chasseurs répétaient leurs passages en l’éclaboussant de projectiles. Ce que nous signifiait Sagon, c’est qu’il n’éprouvait aucun désir. Il n’éprouvait rien. Il disposait de tout son temps. Il baignait dans une sorte de loisir infini. Et, point par point, je reconnaissais cette extraordinaire sensation qui accompagne parfois l’imminence de la mort : un loisir inattendu… Qu’elle est bien démentie par le réel l’imagerie de la haletante précipitation ! Sagon demeurait là, sur son aile, comme rejeté hors du temps !
    — Et puis j’ai sauté, dit-il, j’ai mal sauté. Je me suis vu tourbillonner. J’ai craint, en l’ouvrant trop tôt, de m’entortiller dans mon parachute. J’ai attendu d’être stabilisé. Oh ! j’ai attendu longtemps…
    Sagon, ainsi, conserve le souvenir d’avoir, du début à la fin de son aventure, attendu. Attendu de flamber plus fort. Puis attendu sur l’aile, on ne sait quoi. Et, en chute libre, à la verticale vers le sol, attendu encore.
    Et il s’agissait bien de Sagon, et même il s’agissait d’un Sagon rudimentaire, plus ordinaire que de coutume, d’un Sagon un peu perplexe et qui, au-dessus d’un abîme, piétinait avec ennui.

X
    Voilà deux heures déjà que nous baignons dans une pression extérieure réduite au tiers de la pression normale. L’équipage lentement s’use. Nous nous parlons à peine. J’ai encore tenté, une ou deux fois, avec prudence, une action sur mon palonnier. Je n’ai pas insisté. J’ai été pénétré chaque fois par la même sensation, d’une épuisante douceur.
    Dutertre, en vue des virages que la photo exige, me prévient longtemps à l’avance. Je me débrouille, comme je le puis, avec ce qui me reste de volant. J’incline l’avion et je tire à moi. Et je réussis pour Dutertre des virages en vingt épisodes.
    — Quelle altitude ?
    — Dix mille deux cents…
    Je songe encore à Sagon… L’homme est toujours l’homme. Nous sommes des hommes. Et, en moi, je n’ai jamais rencontré que moi-même. Sagon n’a connu que Sagon. Celui qui meurt, meurt comme il fut. Dans la mort d’un mineur ordinaire il est un mineur ordinaire qui meurt. Où trouve-t-on cette démence hagarde que, pour nous éblouir, inventent les littérateurs ?
    J’ai vu remonter un homme, en Espagne, après quelques journées de travail, de la cave d’une maison écrasée par une torpille. La foule entourait en silence et, me semblait-il, avec une soudaine timidité, celui-là qui revenait presque de l’au-delà, revêtu encore de ses gravats, à demi abruti par l’asphyxie et par le jeûne, semblable à une sorte de monstre éteint. Quand quelques-uns s’enhardirent à l’interroger, et qu’il prêta aux questions une attention glauque, la timidité de la foule se changea en malaise.
    On essayait sur lui des clefs maladroites, car, l’interrogation véritable, nul ne savait la formuler. On lui disait : « Que sentiez-vous… Que pensiez-vous… Que faisiez-vous…» On jetait ainsi, au hasard, des passerelles au-dessus d’un abîme, comme l’on eût usé d’une première convention pour atteindre, dans sa nuit, l’aveugle sourd-muet que l’on eût tenté de secourir.
    Mais lorsque l’homme put nous répondre, il répondit :
    — Ah ! oui, j’entendais de longs craquements…
    Ou encore…
    — Je me faisais bien du souci. C’était long… Ah ! c’était bien long…
    Ou encore…
    — J’avais mal aux reins, j’avais très mal…
    Et ce brave homme ne nous parlait que du brave homme. Il nous parla surtout de sa montre, qu’il avait perdue…
    — Je l’ai cherchée… j’y tenais beaucoup… mais dans le noir…
    Et certes, la vie lui avait enseigné la sensation du temps qui s’écoule ou l’amour des objets familiers. Et il se servait de l’homme qu’il était pour ressentir son univers, fût-ce l’univers d’un éboulement dans la nuit. Et, à la question fondamentale, que nul ne savait lui poser, mais qui gouvernait toutes les tentatives : « Qui étiez-vous ? Qui a surgi en vous ? », il n’eût rien pu

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