Pilote de guerre
l’équipage de Reconnaissance, isolé en plein ciel, ne triomphe jamais des soixante-douze mitrailleuses, qui ne se révéleront d’ailleurs à lui que par la gerbe lumineuse de leurs balles.
À l’instant même où vous connaîtrez qu’il y a combat, le chasseur ayant lâché son venin d’un coup, comme le cobra, déjà neutre et inaccessible, vous surplombera. Les cobras ainsi se balancent, jettent leur éclair, et reprennent leur balancement.
Ainsi quand le Groupe de Chasse s’est évanoui, rien n’a changé encore. Les visages mêmes n’ont pas changé. Ils changent, maintenant que le ciel est vide et que la paix est faite. Le chasseur, déjà, n’est plus qu’un témoin impartial, quand, de la carotide sectionnée de l’observateur, s’échappe le premier des spasmes de sang, quand, du capot du moteur droit, filtre, hésitante, la première flamme du feu de forge. Ainsi le cobra s’est déjà replié, quand le venin pénètre au cœur, et quand le premier muscle du visage grimace. Le Groupe de Chasse ne tue pas. Il sème la mort. Elle germe quand il est passé.
Attention à quoi, commandant Alias ? Lorsque nous avons croisé les chasseurs je n’ai rien eu à décider. J’aurais pu ne point les connaître. S’ils m’avaient dominé, je ne les aurais jamais connus !
Attention à quoi ? Le ciel est vide.
La terre est vide.
Il n’est plus d’homme quand on observe de dix kilomètres de distance. Les démarches de l’homme ne se lisent plus à cette échelle. Nos appareils photo à long foyer nous servent ici de microscope. Il faut le microscope pour saisir, non l’homme – il échappe encore à cet instrument – mais les signes de sa présence, les routes, les canaux, les convois, les chalands. L’homme ensemence une lamelle de microscope. Je suis un savant glacial, et leur guerre n’est plus, pour moi, qu’une étude de laboratoire.
— Tirent-ils, Dutertre ?
— Je crois qu’ils tirent.
Dutertre n’en sait rien. Les éclatements sont trop lointains, et les taches de fumée se confondent avec le sol. Ils ne peuvent souhaiter de nous abattre par un tir aussi imprécis. Nous sommes, à dix mille mètres, pratiquement invulnérables. Ils tirent pour nous situer et guider, peut-être, la chasse sur nous. Une chasse perdue dans ce ciel comme une invisible poussière.
Ceux du sol nous distinguent à cause de l’écharpe de nacre blanche qu’un avion, s’il vole à haute altitude, traîne comme un voile de mariée. L’ébranlement dû au passage du bolide cristallise la vapeur d’eau de l’atmosphère. Et nous débobinons, en arrière de nous, un cirrus d’aiguilles de glace. Si les conditions extérieures sont propices à la formation de nuages, ce sillage engraissera lentement, et deviendra nuage du soir sur la campagne.
Les chasseurs sont guidés vers nous par la radio de bord, par les paquets d’éclatements, puis par le luxe ostentatoire de notre écharpe blanche. Cependant nous baignons dans un vide presque sidéral.
Nous naviguons, je le sais bien, à cinq cent trente kilomètres-heure… Cependant tout s’est fait immobile. La vitesse se montre sur un champ de courses. Mais ici tout trempe dans l’espace. Ainsi la terre, malgré ses quarante-deux kilomètres par seconde, fait lentement le tour du soleil. Elle y use une année. Nous aussi, nous sommes lentement rejoints, peut-être, dans cet exercice de gravitation. La densité de la guerre aérienne ? Des grains de poussière dans une cathédrale ! Grain de poussière, nous attirons peut-être à nous quelques dizaines ou quelques centaines de poussières. Et toute cette cendre, comme d’un tapis secoué, monte lentement dans le soleil.
Attention à quoi, commandant Alias ? Je ne vois, à la verticale, que des bibelots d’une autre époque, sous un cristal pur qui ne tremble pas. Je me penche sur des vitrines de musée. Mais déjà elles se présentent à contre-jour. Très loin devant nous, c’est sans doute Dunkerque et la mer. Mais, en oblique, je ne distingue plus grand-chose. Le soleil est, maintenant, trop bas, et je domine une grande plaque miroitante.
— Vous voyez quelque chose, Dutertre, à travers cette saloperie ?
— À la verticale, oui, mon Capitaine…
— Hep ! le mitrailleur, pas de nouvelles des chasseurs ?
— Pas de nouvelles…
En réalité j’ignore totalement si nous sommes ou non poursuivis, et si l’on nous voit ou non, du sol, traîner derrière nous toute
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