Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Pilote de guerre

Pilote de guerre

Titel: Pilote de guerre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Antoine de Saint-Exupéry
Vom Netzwerk:
Français depuis quinze jours sont déjà morts. Ces morts n’illustrent peut-être pas une résistance extraordinaire. Je ne célèbre point une résistance extraordinaire. Elle est impossible. Mais il est des paquets de fantassins qui se font massacrer dans une ferme indéfendable. Il est des Groupes d’aviation qui fondent comme une cire jetée au feu.
    Ainsi, nous, du Groupe 2/33, pourquoi acceptons-nous encore de mourir ? Pour l’estime du monde ? Mais l’estime implique l’existence d’un juge. Qui d’entre nous accorde à quiconque le droit de juger ? Nous luttons au nom d’une cause dont nous estimons qu’elle est cause commune. La liberté, non seulement de la France, mais du monde, est en jeu : nous estimons trop confortable le poste d’arbitre. C’est nous qui jugeons les arbitres. Ceux de mon Groupe 2/33 jugent les arbitres. Que l’on ne vienne pas nous dire, à nous qui partons sans un mot avec une chance contre trois de revenir (lorsque la mission est facile) – ni à ceux des autres Groupes – ni à cet ami dont un éclat d’obus a détruit le visage, qui a ainsi renoncé pour la vie à jamais émouvoir une femme, frustré d’un droit fondamental aussi bien qu’on en est frustré derrière les murs d’une prison, bien à l’abri dans sa laideur, bien installé dans sa vertu, derrière le rempart de sa laideur, que l’on ne vienne pas nous dire que les spectateurs nous jugent ! Les toréadors vivent pour les spectateurs, nous ne sommes pas des toréadors.Si l’on affirmait à Hochedé : « Tu dois partir parce que les témoins te considèrent », Hochedé répondrait : « Il y a erreur. C’est moi, Hochedé, qui considère les témoins…»
    Car, après tout, pourquoi combattons-nous encore ? Pour la Démocratie ? Si nous mourons pour la Démocratie nous sommes solidaires des Démocraties. Qu’elles combattent donc avec nous ! Mais la plus puissante, celle qui aurait pu, seule, nous sauver, s’est récusée hier, et se récuse aujourd’hui encore. Bon. C’est son droit. Mais elle nous signifie ainsi que nous combattons pour nos seuls intérêts. Or nous savons bien que tout est perdu. Alors pourquoi mourons-nous encore ?
    Par désespoir ? Mais il n’est point de désespoir ! Vous ne connaissez rien d’une défaite si vous vous attendez à y découvrir du désespoir.
    Il est une vérité plus haute que les énoncés de l’intelligence. Quelque chose passe à travers nous et nous gouverne, que je subis sans le saisir encore. Un arbre n’a point de langage. Nous sommes d’un arbre. Il est des vérités qui sont évidentes bien qu’informulables. Je ne meurs point pour m’opposer à l’invasion, car il n’est point d’abri où me retrancher avec ceux que j’aime. Je ne meurs point pour sauver un honneur dont je refuse qu’il soit en jeu : je récuse les juges. Je ne meurs point non plus par désespoir. Et cependant Dutertre, qui consulte la carte, ayant calculé qu’Arras loge là-bas, quelque part au cent soixante-quinze, me dira, je le sens, avant trente secondes :
    — Cap au cent soixante-quinze, mon Capitaine…
    Et j’accepterai.

XIX
    — Cent soixante-douze.
    — Entendu. Cent soixante-douze.
    Va pour cent soixante-douze. Épitaphe : « A maintenu correctement cent soixante-douze au compas, » Combien de temps ce défi bizarre tiendra-t-il ? Je navigue à sept cent cinquante mètres d’altitude sous le plafond de lourds nuages. Si je m’élevais de trente mètres, Dutertre, déjà, serait aveugle. Il nous faut demeurer bien visibles, et offrir ainsi au tir allemand une cible pour écoliers. Sept cents mètres est une altitude interdite. On sert de point de mire à toute une plaine. On draine le tir de toute une armée. On est accessible à tous les calibres. On demeure une éternité dans le champ de tir de chacune des armes. Ce n’est plus du tir, c’est du bâton. C’est comme si l’on défiait mille bâtons d’abattre une noix.
    J’ai bien étudié le problème : il n’est pas question de parachute. Quand l’avion avarié plongera vers le sol, l’ouverture de la trappe de départ occupera, à elle seule, plus de secondes que la chute n’en accordera. Cette ouverture exige sept tours d’une manivelle qui résiste. Au surplus, à pleine vitesse, la trappe se déforme et ne coulisse pas.
    C’est ainsi. Fallait bien l’avaler un jour, cette médecine ! Le cérémonial n’est pas compliqué : maintenir cent

Weitere Kostenlose Bücher