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Pilote de guerre

Pilote de guerre

Titel: Pilote de guerre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Antoine de Saint-Exupéry
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charbon. Nous ne pouvons pas espérer l’assistance des États-Unis. Pourquoi les Allemands, en réclamant Dantzig, nous imposeraient-ils le devoir, non de sauver Dantzig, c’est impossible, mais de nous suicider pour éviter la honte ? Quelle honte y a-t-il à posséder une terre qui forme plus de blé que de machines, et à se compter un contre deux ? Pourquoi la honte pèserait-elle sur nous, et non sur le monde ? » Ils avaient raison. Guerre, pour nous, signifiait désastre. Mais fallait-il que la France, pour s’épargner une défaite, refusât la guerre ? Je ne le crois pas. La France, d’instinct, jugeait de même, puisque de tels avertissements ne l’ont point détournée de cette guerre. L’Esprit, chez nous, a dominé l’Intelligence.
    La vie, toujours, fait craquer les formules. La défaite peut se révéler le seul chemin vers la résurrection, malgré ses laideurs. Je sais bien que pour créer l’arbre on condamne une graine à pourrir. Le premier acte de résistance, s’il survient trop tard, est toujours perdant. Mais il est éveil de la résistance. Un arbre peut-être sortira de lui comme d’une graine.
    La France a joué son rôle. Il consistait pour elle à se proposer à l’écrasement, puisque le monde arbitrait sans collaborer ni combattre, et à se voir ensevelir pour un temps dans le silence. Quand on donne l’assaut, il est nécessairement des hommes en tête. Ceux-là meurent presque toujours. Mais il faut, pour que l’assaut soit, que les premiers meurent.
    Ce rôle est celui qui a prévalu, puisque nous avons accepté, sans illusion, d’opposer un soldat à trois soldats et nos agriculteurs à des ouvriers ! Je refuse d’être jugé sur les laideurs de la débâcle ! Celui-là qui accepte de brûler en vol, le jugera-t-on sur ses boursouflures ? Lui aussi enlaidira.

XVIII
    N’empêche que cette guerre, en dehors du sens spirituel qui nous la faisait nécessaire, nous est apparue, dans l’exécution, comme une drôle de guerre. Le mot ne m’a jamais fait honte. À peine avions-nous déclaré la guerre, nous commencions d’attendre, faute d’être en mesure d’attaquer, que l’on voulût bien nous anéantir !
    C’est fait.
    Nous avons disposé de gerbes de blé pour vaincre des tanks. Les gerbes de blé n’ont rien valu. Et aujourd’hui l’anéantissement est consommé. Il n’est plus ni armée, ni réserves, ni liaisons, ni matériel.
    Cependant je poursuis mon vol avec un sérieux imperturbable. Je plonge vers l’armée allemande à huit cents kilomètres-heure et à trois mille cinq cent trente tours-minute. Pourquoi ? Tiens ! Pour l’épouvanter ! Pour qu’elle évacue le territoire ! Puisque les renseignements souhaités de nous sont inutiles, cette mission ne peut avoir un autre but.
    Drôle de guerre.
    J’exagère d’ailleurs. J’ai perdu beaucoup d’altitude. Les commandes et les manettes se sont dégelées. J’ai repris, en palier, ma vitesse normale. Je fonce vers l’armée allemande à cinq cent trente kilomètres-heure seulement et à deux mille deux cents tours-minute. C’est dommage. Je lui ferai bien moins peur.
    On nous reprochera d’appeler cette guerre une drôle de guerre !
    Ceux qui appellent cette guerre une « drôle de guerre », c’est nous ! Autant la trouver drôle. Nous avons le droit de la plaisanter comme il nous plaît parce que, tous les sacrifices, nous les prenons à notre compte. J’ai le droit de plaisanter ma mort, si la plaisanterie me réjouit. Dutertre aussi. J’ai le droit de savourer les paradoxes. Car pourquoi ces villages flambent-ils encore ? Pourquoi cette population est-elle jetée en vrac sur le trottoir ? Pourquoi fonçons-nous, avec une conviction inébranlable, vers un abattoir automatique ?
    J’ai tous les droits, car, en cette seconde, je connais bien ce que je fais. J’accepte la mort. Ce n’est pas le risque que j’accepte. Ce n’est pas le combat que j’accepte. C’est la mort. J’ai appris une grande vérité. La guerre, ce n’est pas l’acceptation du risque. Ce n’est pas l’acceptation du combat. C’est, à certaines heures, pour le combattant, l’acceptation pure et simple de la mort.
    Ces jours-ci, à l’heure où l’opinion étrangère jugeait insuffisants nos sacrifices, je me suis demandé, en regardant partir et s’anéantir les équipages : « À quoi nous donnons-nous, qui nous paie encore ? »
    Car nous mourons. Car cent cinquante mille

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