Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Pilote de guerre

Pilote de guerre

Titel: Pilote de guerre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Antoine de Saint-Exupéry
Vom Netzwerk:
nuage était près de crever. L’épaisseur des branchages se change alors, pour un instant, en mousse bruissante et légère. C’était là le signal… rien ne pouvait plus nous retenir !
    Nous partions de l’extrême fond du parc en direction de la maison, au large des pelouses, à perdre haleine. Les premières gouttes des averses d’orage sont lourdes et espacées. Le premier touché s’avouait vaincu. Puis le second. Puis le troisième. Puis les autres. Le dernier survivant se révélait ainsi le protégé des dieux, l’invulnérable ! Il avait droit, jusqu’au prochain orage, de s’appeler le « chevalier Aklin »…
    Ç’avait été chaque fois, en quelques secondes, une hécatombe d’enfants…
    Je joue encore au chevalier Aklin. Vers mon château de feu je cours lentement, à perdre haleine…
    Mais voici que :
    — Ah ! Capitaine. Je n’ai jamais vu ça…
    Je n’ai jamais vu ça non plus. Je ne suis plus invulnérable. Ah ! je ne savais pas que j’espérais…

XX
    Malgré les sept cents mètres, j’espérais. Malgré les parcs à tanks, malgré la flamme d’Arras, j’espérais. J’espérais désespérément. Je remontais dans ma mémoire jusqu’à l’enfance, pour retrouver le sentiment d’une protection souveraine. Il n’est point de protection pour les hommes. Une fois homme on vous laisse aller… Mais qui peut quelque chose contre le petit garçon dont une Paula toute-puissante tient la main bien enfermée ? Paula, j’ai usé de ton ombre comme d’un bouclier…
    J’ai usé de tous les trucs. Lorsque Dutertre m’a dit : « Ça s’aggrave…» j’ai usé, pour espérer, de cette menace même. Nous étions en guerre : il fallait bien que la guerre se montrât. Elle se réduisait, en se montrant, à quelques sillages de lumière : « Voilà donc ce fameux péril de mort sur Arras ? Laissez-moi rire…»
    Le condamné s’était fait du bourreau l’image d’un robot blême. Se présente un brave homme quelconque, qui sait éternuer, ou même sourire. Le condamné se raccroche au sourire comme à un chemin vers la délivrance… Ce n’est qu’un fantôme de chemin. Le bourreau, bien qu’en éternuant, tranchera cette tête. Mais comment refuser l’espérance ?
    Comment ne me serais-je pas trompé moi-même sur un certain accueil, puisque tout se faisait intime et campagnard, puisque luisaient si gentiment les ardoises mouillées et les tuiles, puisque rien ne changeait d’une minute à l’autre, ni ne semblait devoir changer. Puisque nous n’étions plus, Dutertre, le mitrailleur et moi, que trois promeneurs à travers champs, qui rentrent lentement sans avoir trop à relever le col, car véritablement il ne pleut guère. Puisque au cœur des lignes allemandes, rien ne se révélait qui méritât véritablement d’être raconté, et qu’il n’était point de raison absolue pour que, plus loin, la guerre fût autre. Puisqu’il semblait que l’ennemi se fût dispersé et comme fondu dans l’immensité des campagnes, à raison d’un soldat peut-être par maison, d’un soldat peut-être par arbre, dont l’un, de temps à autre, se souvenant de la guerre, tirait. On lui avait rabâché la consigne : « Tu tireras sur les avions…» La consigne se mêlait au songe. Il lâchait ses trois balles, sans trop y croire. J’ai chassé ainsi des canards, le soir, dont je me moquais bien si la promenade était un peu tendre. Je les tirais en parlant d’autre chose : ça ne les dérangeait guère…
    On voit si bien ce que l’on voudrait voir : ce soldat m’ajuste, mais sans conviction, et il me manque. Les autres laissent passer. Ceux qui sont en mesure de nous donner des crocs-en-jambe respirent peut-être, en cet instant, avec plaisir, l’odeur du soir, ou allument des cigarettes, ou achèvent une plaisanterie – et ils laissent passer. D’autres, de ce village où ils cantonnent, tendent peut-être leur gamelle vers la soupe. Un grondement s’éveille et meurt. Est-il ami ou ennemi ? Ils n’ont pas le temps de le connaître, ils surveillent leur gamelle qui s’emplit : ils laissent passer. Et moi je tente de traverser, les mains dans les poches, en sifflotant, et le plus naturellement que je puis, ce jardin qui est interdit aux promeneurs, mais dont chaque garde – qui compte sur l’autre – laisse passer…
    Je suis si vulnérable ! Ma faiblesse même leur est un piège : « Pourquoi vous agiter ? On me descendra un peu plus

Weitere Kostenlose Bücher