Potion pour une veuve
vous prétendez être Clara.
— C’est assez compliqué. Elle se trouve pour l’instant en Sardaigne et…
— En Sardaigne ? s’écria Serena.
— Elle vit parmi les dames de compagnie de Sa Majesté la reine, et elle s’y trouve en sécurité comme dans un château gardé par mille chevaliers et cinq mille archers.
— Mais que fait-elle là ?
— C’est une longue histoire, señora, et je vous la raconterai, dans le moindre détail, mais pour l’instant il suffit de dire que je craignais qu’elle n’ait besoin de protection et que c’était à mon avis le meilleur moyen de la lui assurer.
— Vous ne faites pas les choses à moitié, monseigneur. Mais où l’avez-vous rencontrée ?
— Elle se rendait à Gérone avec l’espoir d’y trouver un parent susceptible de l’aider.
— Il aurait été de piètre assistance, oui, fit-elle avec mépris. Mais elle n’aurait pu le trouver. Il est mort. Depuis longtemps. Le second été de la peste.
— En êtes-vous certaine ?
— Oui. Je l’ai appris récemment par une lettre que m’a adressée mon notaire. Il semble qu’avec sa stupidité habituelle mon cousin ait fui sa maison – alors que personne n’est mort cet été-là – pour se réfugier dans une ville où la maladie faisait des ravages.
— Vous étiez sa seule famille ?
— Je crois qu’il s’était marié. Et il avait certainement d’autres cousins. Son notaire a écrit au mien pour lui demander s’il lui connaissait des proches susceptibles de revendiquer ses biens. J’ai répondu à mon notaire de nier tout lien entre nous. Mais comme j’ai reçu cette lettre bien après la disparition de Clara, elle ne pouvait être au courant de son décès.
— Elle semblait ignorer jusqu’à son nom.
— C’est possible.
Oliver observa son visage. Le souci et l’inquiétude avaient gravé dans son front des rides que les rayons bas du soleil rendaient plus visibles. Elle était pâle, et ses yeux étaient encore emplis de larmes. Mais malgré tout, c’était l’une des plus belles femmes qu’il eût jamais vues. Très calme, elle était apparemment perdue dans ses pensées.
— Si elle est vivante, comme vous le prétendez, dites-moi au moins ce qui s’est passé le jour de sa disparition.
— Je vous donnerai plus tard tous les détails, señora, mais à mon avis – d’après ce qu’elle m’a avoué –, elle a été prise dans une vaste foule et en a été perturbée au point de se tromper de couvent. Les religieuses ont été très bonnes et se sont bien occupées d’elle, ajouta-t-il.
— Se tromper de couvent ! s’écria Serena. Je ne puis y croire. Elle savait aussi bien que moi comment y aller. Nous allions souvent rendre visite à Violant, c’était même l’une de nos promenades préférées.
Son regard se perdit dans le lointain et elle demeura un long instant tout à ses réflexions. Oliver crut bon de ne pas la troubler.
— Je suis venue la chercher cinq jours plus tard, dit-elle en se tournant vers lui. Violant m’a dit ne pas l’avoir vue. Nous avons cherché partout et découvert qu’une fillette était morte ce jour-là, piétinée par un cheval. Elle était porteuse d’un balluchon. On me l’a montré pour que je le reconnaisse.
— Et était-ce le sien ?
— Oh oui, je n’ai eu nul doute là-dessus. Son pauvre petit corps avait déjà été jeté dans la fosse commune, mais dès que j’en ai eu la possibilité, sans craindre pour ma personne, je l’en ai fait retirer. Je ne pouvais que croire à la mort de ma Clara.
— Et vous avez cessé de la chercher. Je comprends à présent tout ce qui s’est passé. Vous devriez rentrer, señora. Vous avez l’air très faible. Avez-vous un serviteur susceptible de veiller sur vous ?
Elle lui adressa une ébauche de sourire.
— J’en ai plusieurs, tous loyaux, dit-elle en se levant. Mais pardonnez-moi. Vous devez avoir fait une longue route, seigneur Oliver. Le feu était allumé dans la cuisine quand je suis sortie, et ma cuisinière devrait pouvoir vous offrir un rafraîchissement.
— Señora, je vous en prie, ne vous inquiétez pas pour moi. Pensez plutôt à vous-même.
— Oh, pourquoi ? dit Serena de Finestres en se redressant avec effort. Quoi qu’il en soit, rentrons à la maison.
Il lui offrit son bras et ils marchèrent lentement jusqu’au corps de ferme.
— J’ai encore une chose à dire, señora, avant que vous n’entriez. Il y a
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