Potion pour une veuve
qu’elle est ?
— Rappelez-vous, il y a six ans…
— La maison de Sa Majesté la reine n’était pas établie il y a six ans, monseigneur, fit sèchement Relat, mais je suis au courant des événements notables de ce royaume.
— C’est l’année où notre première reine et son enfant sont morts. La première année de la peste, Don Bernat.
— Le début d’une époque bien troublée, fit le trésorier en secouant la tête.
— Apprenant qu’il se tramait quelque chose à Saragosse, un des membres de la maison de Sa Majesté le roi a envoyé sa femme et sa fille trouver refuge auprès de son cousin, le très noble vicomte de Cardona.
— J’en ai entendu parler, monseigneur. Toute sa maison n’a-t-elle pas disparu ? Ils seraient morts pendant le voyage, dit-on. De la peste, certainement.
— Nous l’ignorons. C’est chose possible. Il est également possible qu’ils aient péri sur la route à cause de l’or qu’ils transportaient.
Oliver se mit à arpenter la pièce.
— J’ai retrouvé l’un des serviteurs, un misérable lâche qui m’a juré que des bandits avaient massacré tout le monde. Il prétendait s’en être tiré par la grâce de Dieu, un accès de colique l’ayant obligé à s’isoler de ses compagnons.
Oliver s’arrêta et regarda le trésorier droit dans les yeux. Il y avait sur son visage une curieuse expression.
— L’enfant s’appelait Clara.
— La fille que vous avez trouvée ressemble-t-elle à la disparue ? Clara n’est pas un nom inhabituel, seigneur Oliver.
— Pas beaucoup, Don Bernat. Même si elle aussi a les cheveux et les yeux sombres et le teint clair. Mais six années se sont écoulées. Ce pourrait être la petite Clara, plus âgée et différente.
Oliver posa les mains sur le bureau du trésorier et se pencha vers lui.
— J’ai aidé son père à la rechercher. Je lui ai juré de la retrouver si elle était encore en vie. Je crois que c’est fait.
— Quel âge avait-elle lors de sa disparition ?
— Sept ou huit ans, je crois.
— Comment aurait-elle pu se retrouver dans un couvent de Barcelone ? demanda le trésorier. S’ils ont été attaqués sur la route, nul doute qu’elle aura été vendue, pas confiée à des sœurs.
— Bien des choses ont pu survenir après sa capture, j’en conviens. Elle aurait pu être emmenée à Barcelone pour y être vendue et échapper à ses ravisseurs.
— C’est possible, dit Relat, même si ce n’est pas très convaincant. Pourquoi ne pas croire l’histoire de cette fille ? Le royaume compte des milliers d’orphelins et d’enfants abandonnés. Nombre d’entre eux sont des filles dont prennent soin les religieuses, et beaucoup ignorent jusqu’au nom de leur père.
— Pourquoi un marchand d’esclaves approcherait-il un citoyen respectable et lui proposerait-il d’acheter une servante chrétienne et libre venue d’un couvent ? Peu importe qui sont ses ancêtres, la chose est trop risquée. Ce serait plus facile, j’en conviens, si le père était un bon à rien et la mère une traînée.
Le trésorier réfléchit un instant.
— Vous marquez un point, seigneur Oliver. Les sœurs poseraient des questions. Surtout si elles conservent son petit pécule. Le châtiment réservé à l’acheteur et au vendeur est très lourd quand ils sont démasqués. Il fallait que le mobile fût très sérieux pour que l’on exerce semblable action à son encontre, et seuls ses ravisseurs pourraient en avoir un aussi grave.
Sa voix commençait à se teinter de passion.
— Si elle est bien la Clara qui a disparu, nous devons faire quelque chose pour elle.
— Vous pensez sincèrement que le temps est ainsi compté ? demanda Bernat. Car si c’est le cas…
— Quand je l’ai laissée chez les bénédictines de Sant Pere, une des sœurs s’est écriée : « Mais c’est la petite Clara ! » Elle a juré qu’il n’en était rien, mais je sais que cela n’a pas convaincu la religieuse. Elles avaient dû vivre dans le même couvent.
— C’est possible.
— Je dois l’enlever de là. Avant ce soir, même.
— Ce soir ? répéta Relat en retrouvant sa prudence habituelle. Seigneur Oliver, réfléchissez à ce que vous faites. Cette fille peut être la première venue. Quelqu’un qui vous connaît bien et veut en savoir davantage l’aura placée sur votre chemin. Son maître peut l’avoir délibérément nommée Clara en espérant que vous la prendriez
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