Potion pour une veuve
bonne journée, dit-il avant de s’incliner et de partir.
— Eh bien, fit Mundina, en voilà un bavard. Mais il m’a l’air d’un homme attentionné, et c’est tant mieux.
Clara accrocha un long voile à ses cheveux et s’en couvrit le visage.
— Venez, Mundina, allons voir s’il fait plus frais sur le pont.
Clara avait passé trop de temps à travailler dur sous les ordres de sa maîtresse pour prendre plaisir au spectacle de deux cents hommes courbant l’échine sur leurs avirons.
— Rentrons, Mundina.
— Ils sont tout à leur travail, dit Mundina, admirative. Pas un coup d’aviron qui ne soit en rythme. C’est fascinant.
— Je ne puis supporter l’idée que ce sont leurs efforts incessants qui nous amèneront en Sardaigne alors que nous ne faisons rien ici.
— Leurs efforts incessants ? Mais ma chère enfant, vous ne supposez tout de même pas qu’ils vont ramer ainsi jusqu’en Sardaigne, si ? Avec un peu de chance, nous attraperons un vent favorable cet après-midi, et les marins n’auront plus qu’à s’occuper des voiles et polir le bois, réparer leurs avirons ou se raconter toutes sortes d’histoires osées jusqu’à ce que les côtes sardes soient en vue. À moins que nous ne rencontrions des pirates et devions redoubler d’effort pour leur échapper. Mais si vous le voulez, nous pouvons rentrer.
— Gentes dames, dit une voix derrière eux. Appréciez-vous le spectacle du travail d’autrui ? J’admets que je trouve cela stimulant.
Elles se retournèrent pour découvrir maître Gueralt et son sourire moqueur. Il les salua.
— Nous allions regagner notre cabine, dit Mundina. Le soleil est très vif.
— Je vais parler au capitaine. Il va faire installer la tente.
— Je vous en prie, n’en faites rien. L’équipage est trop occupé pour l’instant.
Gueralt s’inclina devant Clara.
— Permettez-moi de me présenter, maîtresse. Mon nom est Gueralt de Robau.
Clara ébaucha une révérence et baissa les yeux.
— Je pars pour la Sardaigne afin de combattre pour le roi. S’il veut de moi, naturellement, ajouta-t-il en retrouvant son air narquois.
Il attendit une réaction de la part de Clara et n’en obtint aucune.
— On me dit qu’il apprécie tous ceux qui peuvent se joindre à lui. Mais vous, gentes dames, ne prévoyez certainement pas d’aller au combat…
— Notre voyage n’a rien à voir avec la guerre que mène Sa Majesté, répondit Mundina d’un ton acerbe.
— Puis-je vous demander d’où vous venez ? Je suis certain d’avoir déjà rencontré votre charmante maîtresse. Peut-être vivez-vous non loin de nos terres, madame.
— Très loin, fit sèchement Mundina. Je crois qu’il est temps de rentrer, madame. Vous ne devez pas vous fatiguer outre mesure.
Elle entoura de son bras les épaules de Clara et prit la direction de la cabine.
— Je suis certaine que nous aurons le plaisir de converser à nouveau avec vous, señor, dit-elle en poussant Clara devant elle comme s’il s’agissait d’une simple poupée de chiffon.
— Que doit-il penser de moi ? demanda Clara une fois qu’elles eurent franchi la porte de leur cabine. Aussi raide qu’une statue sous cette étoffe…
Elle ôta son voile et ne put s’empêcher d’éclater de rire. Elle dut plaquer un coussin contre sa bouche pour ne pas faire trop de bruit.
— Que vous êtes sotte, malade… ou que vous ne comprenez pas la langue de ce pays, dit Mundina en riant à son tour.
— Ou les trois, fit Clara dès qu’elle put parler.
Le deuxième jour, en fin de matinée, ils trouvèrent un vent favorable. Les rameurs rentrèrent les avirons et redevinrent matelots. Mais au lieu que l’atmosphère se détende, elle apparut à Yusuf plus frénétique, en quelque sorte. Ce n’étaient plus les rameurs qu’il lui fallait éviter pour explorer le navire, mais les voiles, les cordages et les lourdes traverses de bois. Il se remit à l’étude de l’arabe.
Dès que les voiles furent hissées, Mundina s’intéressa aux faits et gestes de Gueralt. Et quand il n’était pas dans les parages, les deux femmes sortaient. Clara arpentait le pont, dix pas rapides de bâbord à tribord, dix autres pas avec le vent dans le dos de tribord à bâbord, tandis que Mundina se tenait à l’abri sous la tente et la regardait marcher jusqu’en Sardaigne, pour ainsi dire.
Vers la fin du troisième jour, alors que Clara continuait inlassablement de
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