Potion pour une veuve
Oliver avait quitté le plus tard possible le bateau, l’esprit profondément troublé. Il avait jeté quelques pièces au batelier, qui les avait examinées puis l’avait ramené en toute hâte vers la ville.
Le mur dressé en bord de mer s’était couvert de pièces de linge humide retenues par de gros cailloux. Draps et chemises claquaient joyeusement au vent. Il passait à côté quand une lavandière aux bras écarlates prit dans son panier une énorme pile de linge dégoulinant. Un coin lui échappa. Avant même qu’il touche le sol, Oliver le rattrapa du plat de son épée et le lui présenta.
— Fais attention, la mère, ou tous tes draps vont s’envoler à la prochaine saute de vent.
— Attention vous-même ! lui lança-t-elle. Déchirez mes draps et vous verrez ce qui vous arrive. Je vais aller chez vous pour voir vos propres draps… et celui qui s’y vautre quand vous n’êtes pas là, ajouta-t-elle malicieusement. Je m’occupe très bien de mes affaires, merci, messire.
— Ça, je n’en doute pas, fit-il en souriant. Merci pour le conseil !
Il lança quelques piécettes dans son panier et repartit vers la ville. La lavandière le regarda partir, saisit les pièces et les fourra dans son corsage.
La question est, se demanda-t-il en prenant la direction du palais, quelles sont mes affaires en ce moment ? La réponse était simple et plutôt désagréable. Même si les efforts qu’il déployait devaient se révéler vains, il avait entrepris de découvrir pourquoi Pasqual était mort. Ceux qui l’avaient tué savaient-ils qui il était et pourquoi il s’était établi à Gérone ? Si oui, ils en savaient plus que ce que l’on avait cru bon de dire à Oliver.
Il ne servait à rien de spéculer là-dessus dans les rues de Barcelone. Pasqual Robert était mort à Gérone, à son retour de Castille. La réponse ne se trouvait pas ici.
Il n’était pas plus utile de partir pour Gérone en pleine matinée. Surtout un jour où les pierres qui pavaient les places écrasées de soleil étaient si chaudes qu’on les sentait à travers les bottes. Non, il s’en irait juste avant vêpres, chevaucherait jusqu’à la tombée de la nuit, se reposerait en attendant que la lune décroissante vienne illuminer la campagne, puis reprendrait la route pour arriver vers tierce à Gérone. Il n’avait donc rien à faire pendant le reste de la matinée.
Fort de cette conclusion, il arriva aux écuries du palais. Il prit sa monture, partit au galop vers le couvent de Sant Pere et passa près d’une heure, usant de finesse et de diplomatie, à tenter de savoir de quel couvent pouvait venir Clara. Comme il le répéta plusieurs fois à l’abbesse, il était tout à fait clair que sœur Alicia l’avait reconnue. Un quart d’heure plus tard, il se tenait devant un grand portail, se répétant les explications qu’il fournirait quand on lui apprendrait que sa nièce bien-aimée avait échappé à sa bonne maîtresse, pour aller courir les rues, sans aucun doute.
Il ferait l’étonné, c’était décidé, mais il l’aiderait malgré ses défaillances. C’était une réaction raisonnable de la part d’un oncle affectionné. Il actionna la cloche.
Le nom de Clara n’évoquait pas grand-chose à l’abbesse.
— Ce couvent a été durement frappé par la Peste noire, lui dit-elle calmement. Ce fut une période troublée que la fin de l’été de l’année de la peste. Mais nous avons des archives détaillées. C’est nécessaire quand on s’occupe d’enfants.
— Je suis très heureux d’entendre ces paroles, madame.
— Nous ferons tout notre possible pour vous aider à retrouver votre nièce, seigneur Oliver.
— Vous vous souvenez certainement d’elle. Clara, répéta-t-il. Des cheveux bruns…
— Non, le coupa l’abbesse, je suis nouvelle ici. Celle qui m’a précédée, cette noble et sainte femme, est morte il y a six mois. Elle a travaillé comme trois ou quatre femmes afin de garder ses enfants, trouver de l’argent pour les faire vivre et s’occuper de leur éducation, en plus de veiller sur les sœurs dont elle avait la responsabilité. On a dit que son âme avait tout simplement épuisé son corps. Mais elle est aujourd’hui avec Dieu.
— Je suis navré d’apprendre sa disparition.
— Elle courait en tous sens, mais ses archives étaient soigneusement tenues, répéta l’abbesse.
Elle sonna et envoya chercher la sœur responsable des
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