Potion pour une veuve
tempête. Il a dit que si j’écris tous les jours, je serai aussi compétent que lui. Il traduit des textes savants d’arabe en latin. Il a une grande expérience.
— Dans ce cas, installez-vous et commencez à écrire, dit Clara. Nous ne voulons pas nous asseoir. Nous ne faisons rien d’autre depuis l’instant où nous sommes montées à bord de cette galée. Mais c’est être assise à l’intérieur ou écouter Gueralt. Tiens, c’est bizarre qu’il ne soit pas sorti.
L’orage avait tout de même eu une conséquence positive : il avait rendu si malade Gueralt de Robau qu’il resta à gémir dans sa cabine pendant encore un jour et demi.
Les optimistes avaient déclaré que cette embarcation était un miracle de rapidité et qu’il ne lui faudrait que trois ou quatre jours pour atteindre Alghero ; les réalistes avaient dit cinq, à condition que les vents soient très favorables et qu’il n’y ait pas de tempête. De sorte que, quand, le sixième jour, en fin d’après-midi, le bateau s’approcha du port de la ville assiégée, le capitaine eut l’air enchanté, le représentant du trésorier satisfait, et les marins fous de bonheur.
— J’ai discuté de ce problème avec le capitaine, dit Don Eximeno, qui avait rejoint les deux femmes sur le pont. Après l’orage, nous avions le choix entre un itinéraire détourné, plus prudent, et une route plus directe mais plus risquée. J’ai choisi cette seconde solution, et je me réjouis de voir que j’ai eu raison.
— Quel était le risque ? demanda Clara.
— Des vents contraires, rien d’autre. Mais la chance ne nous a pas quittés. Cette cargaison est si importante que j’aurais fait mettre les hommes aux avirons si j’avais eu tort.
— C’est donc votre décision ? Pas celle du capitaine ?
— La politique, c’est mon affaire ; la façon de l’appliquer, c’est la sienne, dit Don Eximeno. Mais la faute aurait été mienne, uniquement, si nous étions arrivés en retard avec un équipage épuisé.
— Les hommes savaient-ils qu’ils auraient peut-être dû ramer ? demanda Clara.
— Oh oui, ils le savaient ! Ce sont tous des marins d’expérience, et ils connaissent ces eaux mieux que moi. C’est ma barrique qui a été mise en perce quand nous avons échappé à l’orage, et la prime qu’ils toucheront tous provient de ma bourse seule. Perdre mon pari contre Dame Nature m’aurait coûté deux fois plus.
Yusuf et le père Crispiá apparurent sur le pont, porteurs chacun d’un balluchon. Quand l’ancre fut jetée, maître Gueralt sortit de la cabine qu’il partageait avec le pilote et deux autres officiers : il avait l’air pâle et malade. Selon un ordre inverse à celui de chargement, le premier accon à accoster le navire amenait avec lui quelques membres de la maison de Sa Majesté la reine, envoyés là pour assister Don Eximeno, et devait repartir avec les passagers.
Le premier à partir fut le prêtre dominicain. Deux membres de son ordre s’empressèrent de l’accueillir dès qu’il mit le pied sur la terre ferme. De loin, il fit au revoir à Yusuf, puis suivit ses frères vers les mules qui les attendaient. Les trois hommes s’éloignèrent ; leurs habits clairs tranchaient avec le rouge de la roche. Derrière eux, un serviteur s’occupait de la malle du père Crispiá.
Gueralt partit presque aussi vite. Asbert de Robau se détacha de la foule amassée sur le quai, embrassa son fils à la hâte et le conduisit vers les chevaux sur lesquels veillaient deux palefreniers. Pendant tout ce temps, il parla d’affaires, se lamenta sur les difficultés de sa propre traversée et accabla son fils de questions, dont il ne prit même pas la peine d’écouter les réponses.
— C’en est fini de lui, dit Clara.
— Où devez-vous aller ? lui demanda Yusuf. Le savez-vous ?
— Don Eximeno doit m’emmener auprès des dames de compagnie de Sa Majesté la reine. Mundina et moi attendrons ici qu’il ait terminé. Et vous ?
Avant même qu’il pût répondre, un homme arborant l’uniforme de la garde royale s’avançait vers eux.
— Yusuf ibn Hasan ? demanda-t-il. J’ai pour instruction de vous conduire au campement de Sa Majesté. J’espère que vous avez fait bon voyage.
— Oui. Et tout le monde est arrivé sain et sauf, ajouta Yusuf après avoir décidé que c’était le maximum que l’on pouvait exiger d’un périple en haute mer.
CHAPITRE XI
Le mardi matin,
Weitere Kostenlose Bücher