Potion pour une veuve
côté d’elle, c’est Elvira, et à côté encore Beatriu.
— Merci, Doña Tomasa. Toutes les dames de Sa Majesté sont-elles là ?
— Oh non. La plupart sont restées au palais. La reine nous a amenées ici, ainsi que sa petite esclave, Catalineta – elle est perdue sans Catalineta –, quelques musiciens et une poignée de suivantes. Elle a laissé ses nains derrière elle, il n’y a donc personne pour nous distraire. Êtes-vous bonne lectrice ? Parce que, si vous êtes lasse de coudre, vous pourriez nous faire la lecture tandis que nous poursuivons notre ouvrage. Nous avons un livre de contes et d’aventures.
— Je crains de ne pas être très bonne, confia Clara.
— Et moi, je suis très mauvaise. Beatriu lira peut-être. Ou nous devrons nous chercher une autre distraction. Quel âge avez-vous ? J’ai dix-sept ans et ne suis pas encore fiancée. Je fais le désespoir de ma mère, qui espère pour moi un grand mariage.
— J’en ai presque seize.
— Vous ne les paraissez pas. Je vous en donnais douze ou treize. Mais j’aimerais avoir votre visage et vos cheveux soyeux. Pourquoi sont-ils si courts ?
Clara sortit ses ciseaux de sa poche et adressa un regard innocent à Tomasa.
— Ils se sont accrochés et il a fallu les couper pour me libérer. Ensuite, Mundina a dû égaliser…
— Je vois. La même chose est arrivée à ma sœur. Elle est tombée de cheval et s’est prise dans les épines. Êtes-vous sûre de vouloir m’aider à arranger cette robe ? Doña Maria a dit que vous étiez habile à manier l’aiguille. Sinon nous pouvons laisser le travail à une suivante.
— J’aimerais vous aider. C’est une superbe robe. Mais ne pensez-vous pas que le corsage et les manches auront l’air un peu tristes sans ces queues d’hermine ? Est-ce ainsi que Sa Majesté la veut ?
— Non. Elle aime les couleurs chatoyantes et les jolis motifs, mais peut-être a-t-elle décidé de donner cette robe à la fille de Sa Majesté le roi, qui a des goûts plus simples. Que suggéreriez-vous ?
— Si c’était la mienne, Doña Tomasa ?
Elle contempla la robe étalée sur ses genoux puis ferma les yeux.
— Puisqu’elle est du vert de la mer, dit-elle en les rouvrant, j’y broderais des jeux de dauphins. Ce serait superbe avec quelques fils d’argent çà et là. Sur les manches aussi, peut-être, ajouta-t-elle, soudainement exaltée.
— Je verrai. Mais nous devons nous limiter à ôter l’hermine tant que nous ignorons ce que désire Sa Majesté.
Soigneusement, les deux femmes retirèrent les fils qui tenaient l’hermine attachée à la robe. Vers la fin de la journée, Clara avait beaucoup appris sur la famille et l’enfance de Doña Tomasa, mais elle avait très peu parlé d’elle-même. Elle s’installait doucement dans une routine qui lui semblait à la fois étrange et familière.
Le quatrième jour de son séjour en Sardaigne, elle se rendit à la tente pour découvrir que personne n’était assis à travailler, à déjeuner ou même à se promener dans la fraîcheur matinale. Tout le monde était rassemblé au milieu de la tente et parlait en même temps. Tomasa la vit arriver et quitta ses amies. Elle était blême et semblait angoissée.
— Que se passe-t-il ? demanda Clara. Nous sommes attaqués ?
— Pis encore, répondit Tomasa. Sa Majesté la reine est partie nuitamment, emmenant Maria López et Catalineta avec elle.
— Où donc ?
— Dans la tente du roi. On dit que Sa Majesté se meurt des fièvres.
— Le roi ?
— Oui, et l’infant Johan n’a même pas quatre ans. La reine pourrait assurer la régence – elle est intelligente et connaît assez les affaires de l’État pour cela –, mais ils sont nombreux à vouloir asseoir l’oncle du roi sur le trône. Ma chère Doña Clara, dit-elle en lui serrant le bras, si Sa Majesté le roi meurt, ce sera à nouveau la guerre civile. Je le sais.
La veille au soir, Yusuf s’était rendu sous la tente du roi afin de l’informer de l’évolution de l’état de santé du seigneur Pere Boyll. Le jour précédent, il avait transmis le message à un aide de camp, qui l’avait remercié. Ce soir-là, il pensait que les choses se dérouleraient de la même façon et avait par conséquent établi comment il passerait le reste de la soirée.
— Sa Majesté aimerait entendre votre rapport de vos propres lèvres, lui dit l’aide de camp en soulevant la draperie permettant
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