Potion pour une veuve
Aujourd’hui encore, elle continue de perturber nos existences.
— Je ne voyais pas les choses sous cet angle, reconnut Oliver.
— Mais quel est votre intérêt, monseigneur, dans le cas présent ?
— Si je viens vous déranger, c’est dans celui de l’unique enfant de cette dame. J’imagine que la propriété, une fois reconnue son appartenance à Doña Serena, reviendra à l’enfant sans que cela fasse problème.
Le notaire ne put s’empêcher de rire.
— Et ainsi, les cousins n’auront que leurs yeux pour pleurer. Mais mon visiteur paraissait tout ignorer de l’existence de cet enfant. Est-ce un fils ?
— Oui, dit Oliver, un fils né du mariage.
Le dernier notaire chez lequel il comptait se rendre habitait trop près du port pour être susceptible de détenir des documents relatifs à un contrat de mariage de cette importance, mais le jeune espion dépêché par Oliver disait que son étude avait reçu une visite ; il pensait de plus que le saute-ruisseau serait sensible au tintement d’une pièce d’argent.
Le réduit où il exerçait sa charge était sombre, étouffant, et le notaire lui-même était absent.
— Le maître s’est absenté pour la soirée, dit le jeune garçon, et moi je m’en vais aussi. Revenez demain.
— Ce n’est pas grave, répondit Oliver d’un ton badin, mais la nuit est chaude et j’ai le gosier sec. Pourrais-tu m’indiquer un endroit où l’on sert du vin ? Du vrai, pas le vinaigre que j’ai eu à dîner.
— Vous m’inviteriez, señor ?
— À boire et à souper aussi, oui. Mais attention, je veux de la qualité.
Il tira sa bourse et la fit danser dans sa main pour bien indiquer qu’elle était pleine.
— Certainement, señor. Mon maître n’est pas assez généreux pour que je refuse à boire et à manger quand on me convie.
— Parfait. La soirée est idéale pour marcher un peu.
Une fois que le jeune homme eut compris qu’Oliver ne cherchait pas un établissement proposant également des femmes au menu, il l’emmena dans une plaisante gargote où l’odeur des sardines grillées embaumait l’air. Oliver commanda un cruchon du meilleur vin, un grand plat de sardines et plusieurs autres mets avant de trinquer avec son hôte.
— Bien, fit-il en poussant vers lui deux piécettes d’argent, causons.
Le saute-ruisseau regarda les pièces puis Oliver.
— De quoi ? fit-il prudemment.
— De l’homme qui est venu trouver ton maître il y a deux ou trois semaines et qui cherchait des traces d’un contrat de mariage ou d’une dot concernant une certaine Doña Serena, originaire de Barcelone.
— Que voulez-vous ? Une description ?
— C’est un bon début.
Le garçon évoqua un homme d’allure ordinaire, correctement vêtu.
— Comme un marchand, précisa-t-il, mais ses vêtements n’étaient pas bien entretenus. Peut-être n’avait-il pas beaucoup d’argent…
— Son nom ?
— Il se faisait appeler Robert de Finestres, mais ce n’était pas le sien. Quand je me suis adressé à lui en disant Don Robert, il n’a pas réagi.
— Voilà qui est intéressant.
— Il voulait que nous lui disions tout ce que nous savions de Serena de Finestres. Il se prétendait l’un de ses proches parents – quel autre nom aurait-il pu nous donner ? Le maître lui a révélé qu’il avait bien un contrat pour une dame prénommée Serena. Il ne se rappelait pas son nom de famille, mais ç’aurait bien pu être de Finestres. Il faut dire que le maître avait déjà plusieurs coupes de vin à son actif – pas aussi bon que celui-là, señor – et que sa mémoire était incertaine. Il semble qu’il avait établi un contrat deux ans auparavant pour une autre Serena, mais ce n’était pas le mariage auquel ce Robert s’intéressait.
Oliver fit glisser une autre pièce sur la table, jusque sous la main du jeune homme.
— Sais-tu où se situe la propriété ? Celle qu’il cherchait.
— Il savait que c’était entre Hostalric et Gérone. Pas sur la grand-route, non, un peu à l’écart. Il a ajouté qu’il lui faudrait pas mal de temps pour visiter toutes les propriétés de la région. Il espérait que nous pourrions le renseigner plus précisément. Il prétendait que cette ferme était à lui, légalement et de par la volonté de cette dame.
— Il avait tort. Si tu le revois, ajouta Oliver en montrant sa bourse, il y en aura d’autres pour toi. Rends-toi à la porte du palais, celle qui
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