Pour les plaisirs du Roi
une aimable manie de brûler les sorciers ou tous ceux qu'il soupçonnait de louches pratiques. Et au moment où les lumières du progrès combattaient ces pratiques barbares partout dans le royaume, Toulouse s'enorgueillissait de rôtir tout ce qui sentait le fagot. C'était en quelque sorte une mode locale, et mieux valait ne pas manquer une messe pour être bien vu des Toulousains.
À ce propos, je ne veux pas importuner mon lecteur en faisant étalage de piété, mais il me plaît tout de même de l'aviser que si je ne possède pas la foi enseignée aux petits enfants, j'avoue qu'il ne me déplaît pas de penser – ou de croire – qu'un être supérieur nous attend quelque part pour nous féliciter de nos belles actions en ce bas monde. Toutefois, j'exècre l'idée que ce même brave homme commande d'écarteler, d'éviscérer, de brûler, d'amputer, d'anéantir ou de massacrer au seul motif que l'on n'est pas d'accord avec lui ou avec ses ambassadeurs sur Terre. Mais je m'éloigne de mon récit.
Sur les conseils du premier clerc du notaire Forland, je me rendis dans une hôtellerie située près du Capitole, place Royale. Là, je laissai mes quelques affaires, avant de rédiger un courrier à ma famille dans lequel j'expliquais brièvement que les formalités s'avéreraient assez longues : je devais rester quelque temps à Toulouse, au moins une semaine. J'omettais de signaler la transaction réalisée avec le notaire, certain qu'il serait toujours temps d'en expliquer les raisons, une fois les cent cinquante mille livres en main. Cela fait, l'après-midi étant déjà bien avancé, je décidai de rendre visite à ma cousine Adélaïde, installée dans le quartier Saint-Étienne où elle habitait une charmante demeure qu'elle tenait de son défunt mari. Deux années seulement après son mariage avec le sieur de Ginestou, le malheureux décéda brutalement en se noyant dans la Garonne, au cours d'une joute donnée en l'honneur de la Vierge de l'église de la Daurade. La rivière ne rendit jamais son corps à sa veuve et ma cousine ne tarda pas à le remplacer. Dès lors, elle montra une belle assiduité à ne demander aux hommes que ce qu'ils voulaient bien lui donner. Toujours séduisante à plus de trente-trois ans désormais, elle s'était fait une certaine réputation dans la petite société toulousaine. Quelque temps, elle fut même la maîtresse de l'intendant du roi, M. de R*, avant de chercher la rémission de ses péchés dans la couche d'un ecclésiastique dont je ne puis écrire le nom ici.
Comme je l'ai évoqué plus haut, depuis ma jeunesse, j'entretenais avec ma cousine d'excellentes et chaleureuses relations. Et il ne fallut pas longtemps pour que cette chère Adélaïde me convainque de séjourner chez elle le temps du règlement de la succession. Le lendemain, je faisais transporter mes quelques affaires en son hôtel et passais sans façon ma deuxième nuit en sa compagnie. À cette occasion, Adélaïde me démontra que l'âge ajoute à la chaleur des sens des femmes ce qu'il fait perdre à la fraîcheur de leurs chairs. Notre entente fut parfaite. Contente de moi, elle parla de mon arrivée à une amie, l'épouse du premier président du parlement, qui donnait justement un bal où je fus invité sans tarder. Ma garde-robe de voyage n'étant pas suffisante pour pourvoir aux exigences mondaines, je passai chez le notaire Forland afin de me faire avancer une centaine de louis que j'investis dans un superbe habit de soie que m'ajusta prestement le meilleur tailleur de la ville. J'y ajoutai une perruque de trois louis et une paire de chaussures dont les seules boucles me coûtèrent un écu chacune. Ainsi apprêté, je me rendis à ma première soirée toulousaine.
Le premier président habitait un des plus beaux hôtels de la ville, qui avait autrefois appartenu à la lignée des Montmorency. Dans la cour d'honneur, illuminée par des centaines de candélabres, les voitures étaient accueillies par des valets habillés de somptueuses livrées vertes, toutes galonnées d'or. Hormis nos aimables réceptions de campagne, je n'avais encore jamais fréquenté de telles mondanités. Chaperonné par ma cousine, je fis donc mon entrée dans le monde avec une pointe d'inquiétude. Il ne me fallut toutefois pas plus d'une dizaine de minutes pour m'y sentir à mon aise. Rien chez moi ne trahissait le campagnard et j'évoluais dans cette société avec l'aisance et la grâce du plus parfait
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