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Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
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gentilshommes. Je trouvais la chose amusante, d'autant que les uns – ou les unes, je ne sais – et les autres faisaient assaut de bonne humeur. Les mets étaient également des plus plaisants, tandis qu'au centre de la salle un petit orchestre laissait entendre une agréable musique. Elie demanda à Nallut comment il connaissait l'endroit. En guise de réponse, il nous montra un baroque personnage coiffé d'une perruque de femme, mais vêtu d'un élégant habit d'homme. Selon lui, cette personne était un authentique hermaphrodite. Pourvu d'appas que de nombreuses belles pouvaient lui envier, il n'en possédait pas moins des attributs indéniablement masculins, affirmait Nallut. Nous le crûmes sur parole – les goûts intimes seront toujours pour moi une extraordinaire source de réflexion.
    Dans une petite pièce jouxtant la grande salle de l'auberge, deux tables de jeu accueillaient les visiteurs. L'envie nous prit avec Elie de nous y diriger pour miser quelques centaines de guinées au pharaon. Mais alors que j'allais franchir la porte, quelle ne fut pas ma surprise de me trouver nez à nez avec un fantôme du passé. M. de Kallenberg en resta d'ailleurs tout aussi stupéfait que moi. C'était bien lui. Presque inchangé depuis la dernière fois où je l'avais aperçu, à Ludwigsburg. Vous savez comment sont ces situations : l'instinct de l'homme du monde prend souvent le dessus. Et, sans même y penser, je lui adressai un salut à peu près courtois. Il y répondit, tout autant par réflexe, me sembla-t-il. Nous en serions d'ailleurs restés là si la porte avait été moins étroite. Je demeurai en effet planté au beau milieu du seuil, attendant qu'il s'effaçât pour me laisser passer. Nous nous toisâmes quelques secondes avant qu'il n'effectue un léger pas de côté, suffisant, estima-t-il, pour que je puisse avancer. Il m'eût cependant fallu pour cela me mettre un peu de biais. C'était positivement inacceptable. Je ne bougeai pas, et pour bien signifier que j'en attendais plus de lui, je demandai à Elie de prendre mon bras. Désormais, il devait reculer pour nous laisser entrer. Nous en étions là lorsqu'une dame arriva juste derrière Kallenberg. Il semblait la connaître puisqu'il échangea avec elle un sourire avant de lui céder le passage. La chose devenait compliquée : c'était elle qui se trouvait maintenant devant nous. Je me mis en devoir de galamment lui ouvrir le chemin en faisant trois pas de côté avec Elie. Sans vergogne, Kallenberg en profita pour lui emboîter le train. Il passa devant moi, son éternel petit rictus aux lèvres, sans même un mot. Mon sang bouillonna. J'ai eu peu de ces réactions dans ma vie, mais je dois dire que ce M. de Kallenberg possédait le talent de m'échauffer la bile. Il n'avait pas fait une demi-toise de plus que je l'apostrophai sèchement :
    — Décidément, monsieur, il faudra donc toujours que vous vous dérobiez derrière une complice.
    Kallenberg s'arrêta net.
    — C'est un connaisseur qui me parle, dit-il. Car venant d'un homme qui survit grâce aux femmes, je n'ai pas de raisons d'en rougir.
    — Monsieur, je me suis rendu compte lors de notre dernière entrevue que vous n'aviez effectivement pas honte de grand-chose. Et à tout prendre, je préfère devoir ma bonne fortune aux femmes plutôt qu'à de méprisables tricheries.
    J'avais haussé le ton : les Anglais présents se doutèrent que nous n'échangions pas des propos amicaux. Je ne suis pas querelleur, vous le savez, et j'ai toujours pensé qu'une franche explication valait mieux qu'un mauvais coup d'épée. Ce Kallenberg était pourtant l'exception à ma règle. Pourquoi ? Je ne sais, car bien d'autres auraient également mérité mon ressentiment au cours de ma vie. Sa mine, peut-être ? Ou bien le profond malaise qui s'emparait de moi lorsque je le voyais ? Je ne sais, vous dis-je. Quoi qu'il en soit, je n'attendis pas qu'il m'échauffe plus longtemps. Sans prévenir, je m'approchai de lui et le souffletai vigoureusement. Elie en fut tout aussi surprise que M. de Kallenberg, puisqu'elle ne put retenir une exclamation. Quant à lui, il sembla comme transformé en statue de marbre. Son sourire s'était bizarrement un peu plus élargi, découvrant des dents à demi gâtées. Il me toisa longuement, avant que la femme qui semblait le connaître ne s'approchât : elle lui glissa un mot à l'oreille. L'instant d'après, il me lança :
    — Monsieur, vous ne me laissez plus le choix.

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