Pour les plaisirs du Roi
courtisan. À trente ans, j'éprouvais la révélation de ma vocation ; ma place était ici. Ma cousine semblait d'ailleurs grandement impressionnée par mon assurance et me présenta à la baronne d'A* – il n'est pas utile d'écrire ici son nom –, longtemps pensionnaire de la cour de Versailles. Sa toilette au dernier goût du jour en témoignait, autant que la superbe rangée de perles qui surmontait une gorge dont je jugeais la forme parfaite. Un avis que devait d'ailleurs partager la baronne, car le décolleté de sa robe cachait avec la plus grande peine la naissance de ses tétons.
En peu de temps, il devint évident que ma conversation plaisait à cette belle personne. Mariée au baron d'A*, colonel propriétaire d'un régiment de hussards, elle s'ennuyait de découvrir une quelconque nouveauté dans une ville où son époux la cantonnait. D'une lignée obscure – pour ne pas dire inexistante –, la baronne avait séduit le baron, son aîné de quinze ans, lors des fêtes données durant le jubilé du roi, m'expliqua en aparté ma cousine. En trois années de mariage, elle lui avait donné deux beaux garçons. Son écot payé, la baronne avait ouvert au chapitre de la fidélité un compte débiteur que son colonel d'époux s'abstenait de lui faire payer, tant que la note de la bienséance restait réglée. Je déduisis de cette description que la dame pourrait apporter un intéressant dérivatif à mon attente dans cette ville. À la troisième danse qu'elle m'accorda, à sa manière de me serrer la main, je sentis bien ne pas lui être indifférent. Cela me fut confirmé quand, avant qu'elle ne quittât le bal au bras de son hussard, elle me proposa de venir boire une tasse de chocolat chez elle, le lendemain, sur les coups de cinq heures. Je terminai la soirée en jouant au pharaon avec la bonne société toulousaine. J'y abandonnai de bonne grâce cinquante louis sans ciller, m'attirant au passage l'estime de tous : savoir perdre au jeu est un des sésames du beau monde, comme je m'en suis souvent aperçu depuis.
Après une nuit réparatrice dans le lit de ma cousine, je me rendis donc le lendemain à l'invitation de la jolie baronne d'A*. Lorsque je fus introduit auprès d'elle par une servante au minois avenant, la baronne m'attendait dans une tenue fort délicate, mais qui m'apparut plus désignée pour dormir que pour recevoir un inconnu. Elle s'en excusa d'ailleurs, sa nuit s'étant achevée quelques minutes avant mon arrivée. Sa beauté nullement marquée par le sommeil m'apparut encore plus remarquable que la veille. De grands yeux bruns à l'expression rieuse éclairaient un visage d'un ovale irréprochable, doté d'un nez plutôt petit, mais parfaitement droit. Sur le menton, une légère fossette traçait un sillon vers des lèvres roses que la nature avait à l'évidence dessinées pour glorifier l'art du baiser ou bien toutes les pratiques que l'imagination inspire aux bouches des femmes.
La baronne m'invita à prendre un chocolat. Sa soubrette, qui répondait au prénom d'Émilie, s'empressa de me le verser dans une superbe tasse en porcelaine de Saxe, avant de s'esquiver avec un sourire timide.
— Votre cousine Adélaïde m'a confié que vous êtes en ville pour quelques jours afin de régler une affaire d'héritage, me dit la baronne en plongeant ses yeux dans les miens.
— En effet, répondis-je. Un malheureux cousin à moi vient de perdre la vie au cours d'une sordide agression. Étant son seul parent, je viens à Toulouse pour la succession.
— J'ai entendu parler de cette terrible histoire. Mais, heureusement, les coupables ont été arrêtés et seront dûment châtiés.
— Certes, mais je reste inconsolable de la disparition de mon aimé parent.
La baronne continua de me fixer, comme si elle soupesait la sincérité de mes propos.
— Mon époux connaissait le comte de Cérès. Il avait eu avec lui une légère controverse au sujet du prix de balles de foin que votre cousin lui avait vendues pour les chevaux de son régiment.
— C'est vrai, l'homme était dur en affaires, admis-je sans plus de commentaires.
En fait, c'était un grippe-sou sans vergogne, que la perspective du gain du moindre louis rendait totalement inhumain. Soucieux d'orienter la conversation sur un autre sujet, je me hasardai à prendre des nouvelles du colonel.
— Il va très bien. Merci pour lui. À l'heure qu'il est, il chevauche vers Montauban à la tête de sa compagnie d'honneur afin
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