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Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
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souvenir. Comment avais-je pu vivre ici ? Qu'on s'imagine un instant la scène : au milieu de notre grand salon dont la taille était à peine égale au tiers du mien à Paris, ma famille se tenait debout devant moi, dans la lumière chétive de chandeliers à moitié dégarnis de leurs bougies. Chon, âgée de presque quarante ans maintenant, toujours célibataire bien sûr, ressemblait à une bossue tellement son mal de dos la contraignait à se tenir courbée. Bischi, un peu plus jeune, conservait sa même figure revêche et n'avait également pas su trouver de mari. Mon épouse, jadis assez jolie, offrait désormais une figure toute jaune et maigre, surmontant un corps flottant dans des habits trop larges. Quant à mon frère, il donnait à voir les atteintes d'une obésité maladive jusque dans les plis de son menton. Ses cheveux commençaient à se faire rares sur le sommet de son crâne, ce qui n'arrangeait pas une mine déjà bien avachie. Il était le cadet, mais sans mentir, il accusait à l'œil dix ans de plus que moi. Vous conviendrez qu'une franche odeur de misère s'exhalait de ce tableau d'ensemble.
    Au milieu de cette débâcle, j'apparaissais sans mal comme un prince. On ne me fit pourtant pas les honneurs de la maison. À peine étais-je assis que Guillaume me prouva qu'il n'y avait rien de changé dans ma famille : la mesquinerie comme la cupidité s'y trouvaient toujours à l'honneur. Et, passé le premier instant de la surprise, il me demanda sans détour si je ramenais leur part d'héritage. Ma réponse les abasourdit.
    — Il faut, je crois, démêler quelques malentendus à ce sujet. Il y a bien longtemps que mon héritage a fini de me nourrir.
    — Et de nous affamer… indigne ! cracha Guillaume qui retrouvait un peu de hargne.
    — Je ne suis point ici pour me chamailler.
    — Alors ? Pourquoi es-tu là ? grogna Bischi.
    — Pour une affaire qui ne peut attendre, dis-je en regardant ostensiblement autour de moi le délabrement du décor.
    — J'ai compris : tu veux vendre le domaine, c'est ça ? Misérable… je ne te laisserai pas faire, lança mon frère qui commençait vraiment à se réveiller.
    Je me levai prestement de mon fauteuil en feignant la colère.
    — Je suis dans ma maison. Et même mon frère ne peut m'y insulter. Est-ce clair ? dis-je de toute ma hauteur, toisant Guillaume d'un air de menace.
    Il rentra la tête dans les épaules, garda son air mauvais, mais fila à l'autre coin du salon. Chon prit alors la parole.
    — Jean, tu es l'aîné, toutefois cela ne te donne pas le droit de dépouiller ta famille. Ce domaine est tout ce qu'il nous reste. Si tu conserves un peu de respect pour notre nom, tu…
    — Qui vous parle de vendre le domaine ? la coupai-je.
    — Mais alors pourquoi êtes-vous ici ? dit mon épouse d'un ton las.
    — Pour vous sortir de votre misère. Si vous le souhaitez, bien sûr.
    Mon frère, craignant d'avoir mal entendu, se rapprocha : — Que dis-tu ?
    — Je viens ici pour relever notre nom et rendre un peu de lustre à cette maison. Voilà tout.
    Guillaume s'esclaffa :
    — Tu nous abandonnes il y a quinze ans sans te préoccuper de ta famille, de ton épouse et de ton fils, et aujourd'hui tu viens faire le secourable. Quelle est encore cette machination ?
    — Tu as tort de me soupçonner, Guillaume. D'autant qu'il ne tient qu'à toi, en particulier, de sortir de cette crasse dans laquelle vous végétez.
    — Moi ? dit-il, interloqué.
    — Oui, toi.
    — Jean, si tu es venu pour te moquer de nous, tu peux repartir aussitôt, siffla Bischi.
    — Tais-toi ! Laisse-le parler, la moucha Chon.
    — Merci, ma sœur. Je le répète : il ne tient qu'à toi, Guillaume, de voir cette maison couverte de bienfaits.
    — Ah, ah… Et de quelle manière, monsieur mon frère ?
    — D'une façon très simple.
    — Mais encore ?
    — En te mariant.
    Guillaume écarquilla ses yeux enfouis dans le gras de ses pommettes.
    — Me marier ? Tu es cruel… Qui voudrait d'un gentilhomme ruiné, cadet de surcroît ?
    — Une jeune femme de ma connaissance.
    — Tu m'as trouvé une femme ? demanda-t-il incrédule.
    — Disons plutôt un bon parti. Et le meilleur qu'il se puisse trouver à un homme dans ta position.
    — C'est vrai, Jean ? m'interrogea à son tour Chon.
    — Pourquoi aurais-je fait cent quatre-vingts lieues jusqu'à vous, alors ? répondis-je.
    — Minute, dit Guillaume. Tout cela est bien mystérieux. Et je n'aime pas les mystères, surtout avec toi.

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