Pour les plaisirs du Roi
nous reçut médiocrement, visiblement irrité de ce que sa femme ne lui donnait pas de nouvelles depuis presque une année. Je dus rappeler à cet incorrigible les termes de nos accords, qui n'incluaient en rien que Jeanne lui écrivît, encore moins qu'il se préoccupât d'elle. Il me répondit que ce mariage lui procurait plus de tracas que de profits, car on savait par toute la province qu'il était cocu, ce qui lui valait les quolibets de la bonne société. Cocu du roi, c'était une rente, tout le monde le savait bien. Et je pense qu'en fait, ce furent surtout les jalousies qu'il suscitait. Il se plaignit aussi de ce qu'il n'avait pas encore son cordon rouge. Cela lui faisait du tort, disait-il, car il avait déjà annoncé à beaucoup qu'il devait recevoir la croix de Saint-Louis. Je le rassurai sur ce point par un beau mensonge. Bref, il ne me fit pas meilleur accueil qu'à l'accoutumée et je ne m'attardai pas plus de trois jours chez lui.
Ce fut suffisant pour me rendre compte qu'il avait pris des mœurs qui lui ressemblaient peu, d'où le ridicule qu'il déplorait. N'est pas débauché qui veut. Dans sa maison, une foule de petits maîtres se donnaient rendez-vous à point d'heure pour lui tenir compagnie. Il s'était ainsi fait une cour de tous les turlupins de Toulouse, au milieu desquels il se donnait des airs de grand seigneur. Des filles aussi décavées y venaient mendier quelques faveurs en échange de leurs maigres talents. Tout cela sentait le rance et m'échauffa assez rapidement. Je conseillai à Guillaume de se mieux conduire, ou du moins de ne pas salir notre nom par ses minables fréquentations.
J'entends d'ici le lecteur qui se gausse de mes leçons de bonne conduite. Certes, mais mes mauvaises manières ont hissé notre famille près du trône, celles de Guillaume la descendait au rang du caniveau. Tout est dans le but à atteindre. Je quittai donc rapidement Toulouse avec mon fils, certain que Guillaume nous donnerait bientôt motif à inquiétudes. Avant de partir, je fis une visite à Adélaïde, à qui je demandai de me tenir informer des faits et gestes de mon frère – elle s'était remariée avec un vieux barbon qui ne tarda pas à la laisser à nouveau célibataire.
J'étais de retour à Paris au début du mois d'août. À Versailles, Jeanne continuait à conquérir les cœurs, et le roi ne dissimulait plus les faveurs qu'il avait pour elle. Un jour, il l'emmena en promenade près de Marly, sur une jolie colline qui dominait la Seine, à Louveciennes exactement. Là, il lui montra un petit château qui avait autrefois été habité par un ingénieur des eaux de Versailles. Il demanda à Jeanne comment elle le trouvait. La bâtisse était très simple mais charmante, c'est pour cela qu'elle plut à Jeanne. Le lendemain, le roi signait un document qui lui en donnait la jouissance jusqu'à la fin de ses jours, en plus d'un crédit de deux cent mille livres pour effectuer des travaux afin de l'embellir à son goût. Jeanne n'avait jamais rien possédé que quelques bijoux, des robes, et trois ou quatre meubles. Elle était désormais comtesse, à l'abri du besoin et propriétaire. Tout cela grâce à moi, et le moment arrivait de me prouver sa reconnaissance.
D'abord, je la fis intervenir auprès du roi afin d'aider mon fils à obtenir un brevet dans les chevau-légers de la garde. Jeanne aimait beaucoup Adolphe et plaida habilement sa cause. Le roi accepta de bonne grâce. Ensuite, je rédigeai un petit mémoire sur divers frais ainsi que sur une belle propriété près de Fontainebleau dont je savais qu'elle était à vendre. C'était un de mes habitués de la rue de la Jussienne qui la cédait pour presque rien – trois cent cinquante mille livres – afin de payer des créanciers – dont moi-même. Jeanne sut, là encore, se faire persuasive. Au mois d'octobre, elle me remit une lettre de change d'une valeur de quatre cent mille livres sur la banque de la Cour. De leur côté, mes sœurs obtinrent un petit appartement à Versailles, pendant que Jeanne se mit en chasse d'un mari pour elles : Bischi restait monnayable, Chon beaucoup moins, mais on n'en chercha pas moins très sérieusement un prétendant.
Dans notre petit clan, M. de Richelieu peinait quant à lui à retirer de grands bénéfices de la position de ma protégée. Je l'ai expliqué, cet excellent homme ambitionnait de hautes fonctions, cependant Jeanne n'avait pas encore assez d'influence pour le pousser. Et
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