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Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
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instant la partie au prétexte de se désaltérer. Il en profita pour me conseiller cordialement de ne pas insister, la veine n'étant manifestement pas de mon côté ce soir-là. Malheureusement pour moi, cet honnête conseil me fut prodigué devant quelques autres joueurs. De fait, il m'était impossible de le suivre sans me perdre auprès de la belle société : le comte du Barry se retirant avec prudence, voilà qui aurait sonné le glas définitif de ma réputation. Je continuai donc. Et ce qui devait arrivait ne manqua pas d'advenir : minuit sonnait quand je perdai mes ultimes cent livres. J'étais dès lors ruiné.
    Comment vous expliquer le sentiment qui s'empara de moi à cet instant ? Comme ivre, je contemplais mon désastre sans y croire vraiment. Demain, je vendrais encore quelques meubles, braderais mon cabriolet, disperserais ma garde-robe, le tout pour quelques centaines de livres. Et après ? Le monde se détournerait de moi, mon nom ne me servirait plus qu'à de sordides expédients, et il ne me resterait qu'à rentrer dans ma province pour affronter peut-être pire encore. Rien ne semblait devoir éclairer ce sombre tableau ; pourtant, je n'arrivais pas à me débarrasser d'une douce euphorie. Le vertige de la défaite, sans doute.
    Je m'apprêtais à rentrer chez moi quand une dame entre deux âges mais encore très belle m'aborda franchement.
    — Monsieur le comte, vous avez eu une bien belle tenue à la table de pharaon, mais elle aurait mérité meilleur salaire.
    — Madame, il ne vous a pas échappé que les dieux du jeu n'étaient pas avec moi ce soir. Qu'importe, car si j'avais gagné, peut-être ne m'auriez-vous pas remarqué, répondis-je galamment.
    — C'est vrai, la malchance est parfois une chance, lança-t-elle avec un léger clignement d'œil.
    Elle continua :
    — Monsieur, je mentirais si je jouais la comédie de la coquette qui s'émeut des infortunes d'un gentilhomme. Vous et moi avons passé l'âge de ces enfantillages et je sais un lieu où vous pourrez vous consoler de cette débandade.
    — Madame, la proposition serait la bienvenue si ma bourse m'offrait encore l'opportunité d'y souscrire. Mais pour ce soir, mon crédit n'est pas de ceux qui vous satisferaient, rétorquai-je sincèrement.
    — Monsieur le comte, j'ai bien compris qu'un homme de votre qualité joue à fond. En vous invitant, je n'espérais pas trouer vos poches un peu plus. Disons qu'il me plaît quelques fois d'offrir le réconfort à des inconnus choisis, m'expliqua-t-elle.
    Je restai un moment interdit par l'aplomb de la suggestion. Je ne suis pas d'un naturel prudent, comme vous l'avez remarqué ; toutefois, cette ouverture inopinée m'intriguait. Mais, après tout, quel était le risque ? Ne possédant plus rien, j'aurais eu mauvaise grâce à m'inquiéter. Je remerciai donc la dame de son offre en la suivant sans tarder dans la cour de l'hôtel de Soissons où une voiture nous chargea pour une destination inconnue, du moins pour moi. Juste avant de monter, la dame me dit se nommer Marguerite Lambert.
     
    Nous fîmes un peu mieux connaissance sur le trajet. Ma bienfaitrice du soir était au moins aussi directe que séduisante : le voyage fut animé. Et lorsque nous arrivâmes à destination, Marguerite – appelons-la ainsi désormais – m'avait déjà témoigné un échantillon de son admirable savoir-faire. Sûre d'elle-même et de son petit commerce, elle était installée non loin de la Bastille, dans un charmant hôtel niché au cœur d'un vaste jardin. En y pénétrant, quel ne fut pas mon éblouissement. Là, en plus de ses activités, elle n'hébergeait pas moins d'une quinzaine de filles parmi les plus jolies des environs. Il y en avait de presque tous les âges, entre dix-sept et vingt-cinq ans. On pouvait même y rencontrer deux ou trois femmes passablement mûres mais encore aussi belles que la maîtresse des lieux. Marguerite me présenta à quelques-unes de ses pensionnaires et m'expliqua qu'elles cultivaient des spécialités du meilleur effet en société : l'une était connue pour ses goûts musicaux, l'autre faisait la conversation aussi bien qu'un jésuite, une autre enfin entendait la peinture comme un maître italien. En plus de cette belle éducation, les pupilles de Marguerite se distinguaient par des penchants intimes tout aussi colorés. Sophie de Chartres, une de ses plus jeunes disciples, s'était par exemple fait une vigoureuse réputation dans le gamahuchage de son

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