Pour les plaisirs du Roi
là…, l'interrogeai-je, sincèrement perplexe.
— Cher comte, vous plairait-il d'être actionnaire d'une compagnie comme la mienne ?
La proposition me laissa sans voix. Je vais d'ailleurs en profiter pour traduire son contenu aux lecteurs qui n'auraient pas suivi.
De nature perspicace, Marguerite avait vite compris que j'étais un homme à qui l'on pouvait sans rougir proposer cette sorte de marché. Clairement, elle attendait de notre association que je prenne sous ma protection certaines de ses pensionnaires afin de les faire évoluer dans des sphères où elles étaient rarement admises. À ce propos, elle me prêtait plus d'entregent que je n'en avais encore vraiment, mais je ne la détrompai pas sur ce point. Car l'offre ne manqua pas de me séduire. La perspective de tirer une rente sur cette belle maison n'y était évidemment pas étrangère, vous connaissez ma situation d'alors. Restait une interrogation : pourquoi Marguerite avait-elle porté son choix sur moi ? Paris regorgeait de gentilshommes désœuvrés dont les finances étaient à sec et qui se seraient soumis de bonne grâce à de tels expédients. Marguerite n'en doutait pas mais avait des critères bien établis qui me plaçaient en tête des candidats à cette curieuse association :
— Mon ami, vous n'êtes pas en cette ville depuis fort longtemps, m'expliqua-t-elle. Grâce à vos talents, vous vous y êtes bâti une charmante notoriété, toutefois pas de celles qui font les figures à la mode. Tant mieux. Dans notre discret commerce, il s'agit d'être connu mais point trop célèbre. Par ailleurs, votre nom est ancien, sonne vrai ; pas comme ces freluquets forts en caquet, marquis d'avant-hier, en qui vos égaux rechignent à placer leur confiance. Vous me semblez également sans vice, du moins de ceux qui rebutent à fonder une entente commerciale. Enfin, vous avez besoin d'argent.
Que répondre ? Marguerite n'avait pas beaucoup d'éducation, mais savait jauger les situations et les hommes. Je n'avais rien à retrancher à ce lucide tableau. Notre pacte se scella dans une étreinte à laquelle elle convia mes compagnes de la nuit. Ensemble, nous formâmes un attelage des plus plaisants jusqu'au dîner.
Cher lecteur, ici débute un chapitre de ma vie dont on me flatte d'avoir fait une œuvre. Depuis le début de ce récit, les plus indulgents d'entre vous se sont peut-être accoutumés à mes écarts de conduite. Sûrement parce qu'ils ne connaissent pas la suite, répliqueront tous les autres. À ces derniers, je souhaite dire qu'il est hasardeux de juger du caractère d'un homme à l'aune de ce qu'il est devenu. On ne naît pas souteneur, curé, charpentier, colonel ou pêcheur à la ligne : on le devient. Ma carrière, je ne l'ai pas voulue. Je ne la renie pas, bien qu'elle me vaille encore aujourd'hui le mépris des bonnes âmes. Elle m'a conduit en des lieux et auprès de puissants personnages que peu parmi vous approcheront, et seulement en rêve. Mais tout cela, j'en fais le serment, sans qu'une seule seconde je l'aie comploté. J'ai versé dans l'ornière par hasard. Lecteur, fermez ce livre si vous espérez des aveux car la suite décevra ceux qui y chercheraient mon repentir.
Après nous être mis d'accord sur les détails de notre alliance, je rentrai chez moi pour établir un plan de bataille. Marguerite me proposait de ne rien changer à mes habitudes, seulement d'y ajouter un détail qui avait son importance. Désormais, partout où je me rendais, je me fis accompagner d'une charmante jeune fille de sa maison. Nous débutâmes avec une beauté de vingt ans qui répondait au prénom d'Hélène. Des yeux vert amande, une peau de nacre, des lèvres rose vermillon, des cheveux clairs presque blonds, lui composaient un visage dont un peintre aurait rêvé. Quant à son corps, il ne le cédait en rien aux canons des modèles qui ont fourni les plus beaux chefs-d'œuvre des cabinets d'antiquités. C'est donc avec cette vestale à mon bras que je déambulais quelque temps dans tout Paris. Évidemment, il ne fallut pas longtemps pour qu'une ou deux de mes relations s'inquiètent d'en savoir plus sur elle. Nous étions convenus qu'elle se présenterait comme ma cousine, sachant qu'à Paris personne n'est dupe de cette farce. Paravent commode, l'alibi du cousinage a du moins le mérite de préserver les apparences et tout le monde s'en satisfait. Une de mes relations, en particulier, était tombée sous le charme d'Hélène.
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