Pour les plaisirs du Roi
: Guillaume avait choisi de se faire officier de marine. Pour un garçon que les voyages rebutaient, la chose était étonnante. Mais, autant dire que seul un naufrage pouvait dorénavant me permettre d'user à ma guise de nos biens. Je ne le désirais évidemment pas.
Deux mille livres, c'était donc tout ce qui me restait d'argent valide. En réduisant mon train de manière drastique, je pouvais faire illusion encore un mois ou deux, à condition de ne pas répondre aux injonctions de plus en plus pressantes de quelques-uns de mes créanciers. Un en particulier, dénommé Chenu, s'alarmait bruyamment. Le bonhomme m'avait été présenté par M. de Saint-Rémy, dont il était une des pratiques habituelles. Je lui avais emprunté quinze mille livres avec la promesse de le rembourser, principal et intérêt, trois mois plus tard pour moitié et le solde à un an. Le premier terme était échu depuis un mois et, l'usurier ne voyant rien venir, il me manda de lui rendre l'intégralité de son prêt. Évidemment, je savais en contractant cette créance qu'il me serait difficile d'en honorer l'échéance, mais cette perspective n'avait pas suffi à me décourager. Je tablais en particulier sur la fin de ma mauvaise chance aux cartes. Depuis mon arrivée à Paris, le jeu m'avait dévoré au moins cinquante mille livres, dont la totalité de l'argent que j'avais emprunté. Malheureusement pour le sieur Chenu, son crédit suivit le même chemin. Je ne répondis donc pas à son injonction, si bien qu'il m'en fit une seconde qu'il demanda à un sbire de porter en main propre à mon domicile. Jugez plutôt de l'effet de sa méthode. J'étais levé depuis quelques instants quand le fâcheux se fit annoncer. Il ne voulut pas remettre la missive à mon domestique et se piqua de ne pas bouger de mon salon avant d'avoir accompli sa mission. Mon valet vint me rendre compte, tout affolé, car l'importun l'avait un petit peu bousculé. Mon sang s'échauffa. Il en va de mes gens comme de mes chevaux ou de mes bibelots : je ne supporte pas que l'on en dispose sans ma permission. Furieux, je me transportai à la rencontre du porteur de missive, ayant pris soin au passage de me munir d'une belle canne au pommeau d'ivoire. L'homme sembla stupéfait de mon irruption – je vous dis tout : j'étais en robe de chambre, la tête couverte d'un mouchoir –, mais, surtout, je compris à ses interrogations balbutiantes qu'il ne s'attendait pas à affronter un client de cinq pieds huit pouces de haut, à la mine passablement courroucée. Je n'eus même pas à brandir ma canne pour qu'il détalât en abandonnant sa lettre derrière lui. Sans prendre la peine de la lire, je la jetai encore cachetée dans le feu. Huit jours plus tard, Chenu réclamait son dû en justice, ce qui ne m'alarma pas outre mesure car en cette affaire comme en bien d'autres, les lenteurs de nos tribunaux octroyaient généralement un répit de plusieurs années.
En attendant, ce fesse-mathieu fit une telle publicité de l'incident qu'il me perdit un peu plus auprès des autres prêteurs. À bout de ressources, il ne me resta plus que la table de jeu pour retarder le moment de ma complète faillite 7 . Avec deux mille livres devant moi, il allait toutefois me falloir jouer serré. Ce n'était pas dans mes habitudes, car j'ai toujours pensé que les petites mises n'attirent que les petits gains. Nanti de cette belle philosophie, je passai un soir à l'hôtel de Soissons où il m'était arrivé de gagner de fortes sommes au pharaon – que je reperdais généralement chez la Marchainville. La nuit était déjà bien avancée et les joueurs se faisaient moins nombreux. Quelques-uns des plus sérieux tenaient quartier autour d'une table dont la banque était aux mains d'un vieux marquis que j'avais croisé à plusieurs reprises dans une petite maison proche des Tuileries. Je m'approchai et le saluai discrètement avant de prendre place. À la différence de l'hombre, le pharaon n'est qu'un jeu de hasard : on perd ou on gagne et nulle stratégie ne peut vous garantir l'issue.
Pour un homme dans ma situation, ce jeu avait l'avantage d'être rapide et sans équivoque. Je misai donc cinq fois de suite cent livres sans autre résultat qu'une quintuple déroute. Il me restait quinze cents livres en tout et pour tout. Je ne me démontai pas : cinq nouvelles fois, je pariai cent livres. Qu'arriva-t-il ? Rien de bon. Il me resta mille livres. Le vieux marquis interrompit un
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