Pour les plaisirs du Roi
m'entourer. Mais il faut également que vous sachiez que, en ce bref royaume où vous vous trouvez, mes gens me sont attachés car je les protège de nombre de petits désagréments : l'enclos est un refuge.
J'écoutais sans mot dire. Le prince me sourit et continua :
— Quant à M. de Kallenberg, il a des défauts, j'en conviens. Mais certains vices peuvent parfois rendre les hommes plus précieux. Quoi qu'il en soit, je vous demande comme un service personnel de ne pas poursuivre dans votre idée. Ou du moins pas tout de suite. M. de Kallenberg m'est fort utile, bien plus que vous ne pouvez l'imaginer. Si vous m'en priviez, cela m'embarrasserait grandement. À vous, je sens que je peux faire une confidence : il œuvre dans des affaires qui sont d'une très grande importance pour le trône. Votre soupçon est peut-être fondé, mais puisqu'il n'y a pas de preuves formelles, laissons au temps le soin de démêler cela. Je sais, cher comte, ce qu'il en coûte à un gentilhomme de surseoir à une affaire d'honneur, mais, encore une fois, je serais votre obligé si vous vous montriez patient, à défaut d'être magnanime.
Le ton qu'employa ce grand personnage me toucha, je l'avoue, autant que sa confiance m'honora. Le prince m'avait traité en égal et à aucun moment il ne m'intima de suivre la conduite qu'il me conseillait. Il est des moments dans l'existence, où l'entêtement que certains d'entre vous me reprochaient plus haut, doit trouver un terme raisonnable. C'est ce qui m'apparut à cet instant. Et moi qui arrivais de ma campagne, j'aurais été bien sot de refuser un service au cousin du roi de France. On ne me demanda aucun serment, je n'en aurais d'ailleurs pas prêté, mais j'assurai le prince que je ne tenterais rien pour le priver de M. de Kallenberg, à la condition toutefois que celui-ci m'évitât consciencieusement. Le prince prit bonne note de mon engagement et me rassura sur le dernier point en m'indiquant qu'à cette heure M. de Kallenberg était en route pour Varsovie. Je masquai mon étonnement et l'entrevue s'acheva sur la promesse de M. de Conti de me rembourser ce service à la première occasion. Je ne savais pas alors que j'allais attendre près d'une année avant de le revoir.
Chapitre X
I l serait fastidieux de vous conter les suites de ma première année à Paris. Retenez seulement de ce voyage au long cours qu'à l'automne 1754, j'étais au seuil de la banqueroute. Eh oui, quatorze mois après ma fugue de Toulouse, il ne me restait en tout et pour tout que deux mille livres auxquelles s'ajoutaient – ou desquelles se retranchaient si vous préférez – vingt mille livres de dettes chez divers usuriers de la place et cinq mille livres de débit dans quelques bonnes maisons. Les plus parcimonieux des lecteurs se demanderont sûrement comment ai-je pu manger cent vingt mille livres en une année et me suis-je endetté pour vingt-cinq mille de plus. Moi-même, j'ai du mal à me souvenir des détails dont je ne vous entretiendrai d'ailleurs pas tant ils seraient de nature à nous endormir. Il me revient juste que j'ai beaucoup joué et peu gagné ; que j'ai souvent prêté et jamais réclamé ; que j'ai assidûment invité et toujours payé. Cette conduite vida ma bourse mais me bâtit une des plus belles réputations de Paris. Connu dans le beau monde pour être prodigue, ma popularité dans ce domaine fit toutefois tousser chez les prêteurs, si bien qu'il me devint bientôt très difficile de trouver un grippe-sou à qui tirer cent modestes louis. Discrètement, je me dessaisis de quelques bibelots chèrement acquis mais dont la revente ne correspondait jamais à ce qu'ils m'avaient coûté car ce qui s'achète trop cher se revend toujours trop peu. En même temps que je découvrais les lois élémentaires du commerce, j'apprenais à dissimuler ma gêne par toutes sortes d'artifices. À un habitué de ma maison qui s'étonnait de ne plus voir tel tableau, je racontais l'avoir offert à une belle dame ou bien, à celle qui regrettait une de mes tabatières, je prétextais l'avoir égarée. Il ne me fut toutefois pas possible de donner le change bien longtemps sur un chapitre bien particulier.
Je ne vous étonnerai pas si je vous confie avoir investi une belle part de ma petite fortune en compagnie de nombreuses galantes. J'avais en particulier fait des placements sur une cohorte d'actrices dont les talents de scène m'intéressaient moins que ceux qu'elles dispensaient en
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