Pour les plaisirs du Roi
je vous remercie de votre sollicitude.
Après un instant, j'ajoutai cependant :
— À y réfléchir, il se peut toutefois que votre bienveillance puisse trouver à s'employer. Ma filleule que voici est à Paris depuis peu de temps. Son éducation est des meilleures, mais j'avoue ne pas suffisamment connaître les antichambres des puissantes dames de la Cour pour lui faire une place.
Le visage du prince eut une expression que je ne lui avais jamais connue, comme si son masque cédait sous la puissance d'une douce émotion. Il en parut plus jeune.
— Cher comte, voilà un service qui ne soldera pas mon compte mais me rendra doublement débiteur. C'est pour cela qu'il m'est agréable de l'accepter. Comment puis-je me rendre utile à la cause de cette enfant ? demanda-t-il.
— En lui manifestant votre intérêt, vous la désignez déjà à un avenir meilleur, monseigneur. Je vous laisse seul juge de la méthode. Vous verrez, Faustine est d'une nature docile.
Le prince se leva et me prit à part.
— Monsieur, je n'ai pas pour habitude de blesser un homme à qui je veux être agréable. Il me faut pourtant vous avertir : votre filleule ne m'a pas laissé indifférent. S'il arrivait que cet intérêt soit partagé, en seriez-vous froissé ?
— L'offense serait qu'elle ne répondît pas à vos bons soins, rétorquai-je.
L'essentiel était dit. Le lendemain, Faustine se rendit à une invitation du prince qui l'emmena ensuite en villégiature dans son château de l'Isle-Adam. Nous la revîmes vingt jours plus tard. M. de Conti avait le caractère d'un monarque et les cadeaux d'un roi : Faustine ramena chez Marguerite une parure de bijoux d'au moins dix mille livres, ainsi qu'une lettre de change de cinq mille autres livres dont le prince voulut qu'elle le remboursât en venant souvent le voir en son palais du grand prieur. Entre-temps, il m'avait fait passer un amical billet où il me remerciait de ma confiance et dans lequel il m'engageait à lui présenter de nouvelles filleules si l'occasion advenait. Il accompagna la missive de deux splendides tabatières en or incrustées de pierres précieuses d'une valeur que j'estimai à trois mille livres chacune.
7 À ce sujet, la rumeur d'une méchante affaire advenue au comte m'est parvenue par un collègue orléanais. L'aventure l'aurait conduit devant la juridiction royale de cette ville au motif d'une inculpation de tricherie lors d'une partie de cartes. Le gentilhomme qui l'accusait se serait ensuite rétracté pour on ne sait quelle raison.
Chapitre XI
A u mois d'avril de l'année 1755, je décidai de quitter mon logement du faubourg Saint-Honoré pour un charmant hôtel de la rue des Petits-Carreaux. L'endroit était très vaste, avec un jardin attenant, et possédait surtout une entrée dérobée dont je me dis qu'elle pourrait s'avérer un jour utile. Pour l'heure, j'étais un homme serein. Après avoir frôlé la banqueroute, j'avais retrouvé une aisance enviable grâce à mon association avec Marguerite. Dans le commerce, Dieu sait qu'il est difficile de sceller des alliances durables, mais celle avec Marguerite ne connut jamais aucun nuage. Je faisais régulièrement des apparitions dans son honorable maison pour y choisir une nouvelle candidate, puis je la frottais au beau monde afin qu'elle y trouvât sa place. Chacune de nos protégées nous signifiait ensuite sa gratitude en partageant les fruits de la générosité des gentilshommes qu'elle séduisait. Certaines fois, il en allait différemment et c'était moi qui recueillais directement les avantages de ces idylles. Ce fut ainsi qu'un puissant prélat éperdument épris d'Hélène – elle n'avait point qu'un seul bienfaiteur – me céda pour rien le bail de mon nouveau logement. Au total, mes bons offices me garantirent bientôt près de mille cinq cents livres de revenu par semaine.
Comme à l'accoutumée, je dépensais cette manne en divers endroits plus ou moins mal famés, mais je faisais également l'acquisition de quelques œuvres d'art, autant par goût que par prévoyance. Ce fut à cette époque qu'il me prit l'envie de commencer une collection de tableaux sur les conseils d'habitués des salons de Mme du Deffand. J'y avais toujours mes entrées et il m'arrivait encore de temps à autre de m'entretenir en privé avec Mlle de Lespinasse. La marquise m'en restait redevable : connaissant ma nouvelle passion pour les toiles de maître, elle me présenta au marquis de Marigny. Directeur
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