Pour les plaisirs du Roi
soir, un dénommé Robert François Damiens tenta d'assassiner le roi. Je soupais ce jour-là chez Mme du Deffand quand M. de Saint-Rémy fit irruption pour nous annoncer la nouvelle. Il revenait de Versailles où il avait été témoin de l'odieuse agression – j'appris par la suite que c'est en fait un brigadier des gardes du corps qui lui rapporta la scène. Il demanda un verre d'anis afin de se remettre puis nous raconta les faits. Alors que Sa Majesté regagnait son carrosse pour se rendre à Trianon après avoir visité Mme Victoire, un individu avait adroitement fendu la haie des gardes pour s'approcher du roi en se mêlant aux courtisans. D'abord, on ne soupçonna rien, mais tout à coup le roi se plaignit qu'on lui avait donné un coup de coude au côté droit. Touchant son flanc de sa main, il la retira toute ensanglantée et s'écria qu'il était blessé. Une cohue se forma autour de lui, mais le souverain eut la présence d'esprit de désigner son agresseur qui tentait de rebrousser chemin, cachant maladroitement un couteau dont M. de Saint-Rémy nous dit avec frisson qu'il était un des plus longs qu'il n'ait vu et tout couvert du sang royal. On s'empara de l'homme tandis qu'on transportait le roi dans ses appartements, où les médecins s'affairèrent sur sa personne.
La nouvelle courut Paris comme un incendie. Chez Mme du Deffand, la panique s'empara de quelques-uns des invités au motif qu'ils craignaient que ce ne fût l'annonce d'une fronde des Parlements contre lesquels le roi était en guerre ; pour d'autres, c'était un coup des Jésuites, habitués des régicides ; pour tous, ce fut une nouvelle inquiétante qui ne trouva à s'apaiser que le lendemain lorsque l'on sut plus de détails. D'abord sur la santé du roi : il avait subi deux purges dans la nuit car on craignait que la lame de Damiens ne fût empoisonnée. Grâce à Dieu, ce n'était pas le cas. En ce qui concernait la blessure, elle ne relevait pas de celles dont on mourait puisque le criminel avait utilisé une lame d'à peine quatre pouces. M. de Saint-Rémy avait dû mal voir, ce fut d'ailleurs ce qu'il objecta plus tard à ceux qui lui rappelèrent cruellement sa saisissante description de l'arme du crime. On en connut également plus sur l'assassin. Il s'agissait d'un homme de basse extraction, qui fut tantôt domestique, tantôt coursier au Palais de justice. Il se disait également qu'il s'était rendu coupable d'un vol chez M. de La Bourdonnaye alors qu'il était à son service. Afin d'en savoir plus sur ses motifs, il fut soumis à l'interrogatoire, mais rien n'en sortit qui prouvât qu'il était l'instrument d'une conspiration. Non, ce misérable semblait avoir tout simplement agi seul, l'esprit échauffé par ce qu'il pensait une mission sacrée : il voulait rendre service à l'État, clamait-il. Charmante attention.
L'enquête dura deux mois sans plus de succès que de pousser Damiens aux portes de la démence à force de torture. À la fin de mars, la grande chambre du parlement le condamna à mort pour parricide à l'encontre du roi. Au passage, les juges crurent être agréables au souverain en remettant au goût du jour des pratiques qui ne s'entendent plus que chez les Turcs. Il fut ainsi décidé de traîner Damiens en place de Grève afin d'y être profondément tenaillé aux seins, bras, cuisses et fesses avant que le bourreau ne remplisse ses plaies de plomb fondu. Dans leur grande mansuétude, les magistrats arrêtèrent qu'il serait ensuite mis fin à son calvaire en le démembrant à l'aide de quatre chevaux.
Le jour de l'exécution de la sentence, la foule était venue en nombre. Les balcons de la place furent loués fort cher, et la meilleure société s'y pressa comme lors d'une première du Théâtre-Français. Sur l'insistance d'une séduisante baronne qui me tenait à cœur, j'avais consenti à assister à l'agonie de ce pauvre diable, étant toutefois certain que le bourreau abrégerait au plus tôt le supplice. Je me trompais. Sanson accomplit avec zèle ce qui avait été décidé : la chose dura trois heures. Le misérable fut tenaillé, brûlé horriblement puis, après qu'on eut ébouillanté la main qui avait frappé le roi, on attela les chevaux à chacun de ses bras et jambes. La foule s'était clairsemée quand l'écartèlement débuta. Aucun membre ne voulut céder et le malheureux hurla son dépit d'une manière qui ne se peut décrire. Damiens ne pouvait pas mourir : sa raison appelait la
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