Pour les plaisirs du Roi
jamais soupçonné de votre personne autre chose que de la franchise. D'ailleurs, les circonstances de notre rencontre ne sont pas de votre fait s'il m'en souvient bien. Toutefois, on ne peut jamais empêcher certaines préventions de s'insinuer dans l'esprit le mieux disposé. Aujourd'hui, ce qu'on me dit de vous me confirme que j'ai eu spontanément raison de vous témoigner de l'intérêt. Mais je vous sens blessé…
— Qui ne le serait pas d'avoir subi l'examen de sa loyauté ?, dis-je en me composant une mine sévère.
Je jouais là, je l'avoue, la comédie de l'offensé.
— Allons, comte, ne m'en voulez pas trop. Votre honneur est sans tache, et puis vous êtes un homme doté de cette intelligence qui sait concevoir que certains moyens sont parfois nécessaires.
— C'est-à-dire, monseigneur ?
— Vous n'êtes d'aucune coterie, c'est vrai. Toutefois, il me semble que vous avez su donner de votre personne pour vous tailler une certaine renommée dans d'autres milieux. J'ai pu apprécier moi-même l'étendue comme la qualité de votre entregent. À mes yeux, ces services discrets qu'il vous arrive de rendre à moi comme à d'autres sont les certificats d'un rare talent d'ambassadeur. Il vous fait encore plus précieux pour vos amis et il n'y a que les sots ou les dévots pour s'en scandaliser.
— J'aime en effet à être utile à mes amis, répondis-je, laconique, assez impatient d'entendre la suite.
— Bref, cher comte, il ressort de tout cela que je veux aujourd'hui vous faire partager une affaire subtile qui me tient très à cœur. Souhaitez-vous l'entendre ?
Je répondis par l'affirmative. Comme à son habitude, le prince prisa d'abord une bonne dose de tabac, puis il m'expliqua longuement tout l'intérêt qu'il portait aux affaires de l'État. Également comme de coutume, il critiqua son cousin, mais me confia qu'il avait pourtant accepté depuis quelques années de travailler au soutien du royaume. J'étais surpris de ces confidences, toutefois je n'en laissais rien paraître. Louis XV lui avait demandé de prendre la tête d'un cabinet occulte qui agissait hors des frontières du pays, continua-t-il. Le Secret, comme l'appelaient ceux qui en étaient informés, recueillait des renseignements de la plus haute importance, utilisant à cet effet une légion d'espions. Le prince m'entretint de ces sujets avec une infinie liberté, soucieux de me faire bien comprendre la confiance qu'il me faisait. Je me taisais, écoutant avec beaucoup d'attention tous les détails de sa conversation. J'exempterai le lecteur du long exposé qu'il m'infligea sur la situation de l'Europe à cette époque. Sachez seulement – pour ceux qui étaient trop jeunes, car les autres ne se souviennent que trop de cette funeste période – que, depuis l'année précédente, le royaume de France était entré en guerre aux côtés de l'Autriche contre l'Angleterre et la Prusse. Cela pour faire court et ne point vous encombrer l'esprit car aucun État du continent ne resta neutre dans cette affaire qui dura sept longues années. La guerre était partout, en Europe mais aussi en Amérique et aux Indes, où nos intérêts s'affrontaient à ceux de la couronne d'Angleterre. Au passage, le prince se plaignit qu'on ne lui avait pas donné le commandement des armés, ce qui, disait-il, augurait mal de la suite. Puis il évoqua en particulier les cours d'Allemagne où nous avions beaucoup d'ennemis mais aussi quelques alliés dont le duc Charles de Wurtemberg. Il se fit alors plus précis.
— Mes espions me rapportent que le duché de Wurtemberg est bien disposé à notre égard, mais les agents de Frédéric s'y montrent plus entreprenants chaque jour. Il est de première importance de nous assurer de la fidélité de cet État. En outre, le duc Charles est un prince loyal mais dont la nature dispendieuse lui suscite des besoins qui pourraient le rendre vulnérable à des propositions de nos ennemis. Bref, cher comte, j'ai besoin d'un homme sûr pour quelques affaires à Ludwigsburg.
Ami lecteur, vous avez pu observer jusqu'alors comme mon existence était préoccupée de sujets bien légers au regard de ce qui vient d'être évoqué. Depuis mon arrivée à Paris, la seule politique qui m'occupait était celle de mon bon plaisir. À aucun moment, je le jure, il n'était entré dans mes intentions de participer à des manœuvres dont il m'arrivait parfois d'être le témoin sans qu'elles n'éveillassent chez moi la moindre
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